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Marie Ballarini

Modèles juridiques et économiques : un bouleversement des règles[modifier | modifier le wikicode]

Questions économiques — Structures des coûts et création de valeur

Comment détermine-t-on la valeur économique d’un fichier numérique issu de la numérisation d’un objet patrimonial ? Pourquoi faut-il la déterminer ? L’objectif de ce chapitre n’est pas de donner un catalogue de prix par technologie ou par type d’œuvres ou objets numérisés, mais de donner au lecteur les clefs des problématiques et enjeux que recoupent ces questions. Déterminer cette valeur permet aux institutions de prendre des décisions informées quant à la production, conservation et diffusion de ces fichiers numériques .

Nous organisons ce chapitre selon les difficultés de ces évaluations en fonction de la diversité des technologies en jeu, de la diversité des objets susceptibles d’être numérisés ainsi que de la grande diversité des usages pouvant être faits de ces fichiers.

Une structure de coûts similaire au modèle traditionnel du musée[modifier | modifier le wikicode]

Par définition les musées demandent l’investissement de coûts fixes élevés. La collection en elle-même doit être acquise, conservée, exposée, étudiée, imposant une somme de coûts non dépendante de l’usage qui en est fait, le coût d’un visiteur supplémentaire (ou coût marginal) est nul sauf si la fréquentation augmente suffisamment pour nécessiter une infrastructure ou du personnel supplémentaire (Frey, 2006). En ce sens, la structure des coûts liés au digital est relativement similaire. L’investissement nécessaire pour la création du premier exemplaire est important tandis que la multiplication du fichier ne suscite quasi aucun coût. Dès lors, il faut se poser la question des raisons pour lesquelles l’institution devrait (ou non) investir dans la création de cette première copie, sous quel format ou pour quels usages. Nous traitons donc ici des méthodes d’évaluation des coûts ainsi que de la valeur créée, dans l’objectif de pouvoir réaliser une analyse coût-avantages permettant de sensibiliser les agents du secteur comme les décideurs publics.

Une grande diversité de technologies[modifier | modifier le wikicode]

Évaluer les coûts et la valeur de la numérisation d’un objet muséal est impossible à standardiser du fait de l’immense diversité des technologies utilisées. D’une part, entre la capture photographique (quand bien même avec un appareil professionnel de grande qualité) et la réalisation d’une IRM ou d’une représentation 3D, le matériel nécessaire, les compétences requises pour la personne en charge de la numérisation varient drastiquement. Et d’autre part, les évolutions extrêmement rapides que celles-ci connaît tend à faire également évoluer le coût, un matériel de pointe et des innovations pouvant après quelques années devenir abordables et se généraliser dans les institutions. Ainsi, l’impression 3D était à son arrivée sur le marché un investissement non négligeable, aujourd’hui disponible dans un grand nombre de services et même chez les particuliers.

Les coûts liés à la numérisation sont de plusieurs ordres : le coût de production, le coût de stockage et le coût de la diffusion. Dans la grande majorité des cas, le premier sera le plus important (dépendant de la technologie choisie et de la diffusion souhaitée). Le coût de production incluant le coût du matériel (hardware et software), de la masse salariale, des droits le cas échéant est particulièrement sensible au choix de la technologie. En revanche, le coût de stockage, bien que variable en fonction de la taille du fichier (une modélisation 3D en moyenne sera plus lourde qu’un fichier .jpeg) est tellement minime aujourd’hui qu’il est quasiment négligeable. Il ne devient appréciable que pour d’immenses collections. Il convient cependant d’y ajouter le coût de la pérennisation (transcriptions régulières, sauvegardes multiples, vérifications d’intégrité, suivi de l’évolution des codages et des matériels, etc.) et celui des capacités de transmission (bande passante).

La gestion de ces coûts implique une réflexion quant à l’organisation de ces investissements. Si acheter du matériel informatique et un appareil photographique est à la portée de la majorité des institutions, un matériel plus avancé peut être un investissement très lourd, impliquant également la création d’emplois qualifiés. Il est également à noter que dans le cadre de technologies rapidement évolutives, certaines ne seront pas aussi pérennes que d’autres et qu’il en résulte un risque d’investir dans une technologie qui ne sera rapidement plus à la pointe ou même plus mise à jour. Dès lors, les institutions peuvent d’une part choisir de mutualiser leurs budgets afin d’investir ensemble dans l’acquisition et le fonctionnement du matériel. Par exemple, aux Pays-Bas, un effort national est en cours pour coordonner la mise en commun des ressources pour la création de référentiels numériques communs, l’adoption à grande échelle de meilleures pratiques (par exemple, normes, URI), la collaboration et la répartition des responsabilités pour un réseau durable du patrimoine numérique (Navarrette 2018). D’autre part, l’institution peut choisir d’externaliser le processus via des studios privés, des laboratoires universitaires ou d’autres institutions publiques. À titre d’exemple, la BNF, transformant son savoir-faire en source de revenus propre, propose une solution tarifée d’archivage numérique1.

À moins d’un fonds alloué, comme des projets de numérisation ou d’acquisition d’équipements numériques, peu de données standardisées sont disponibles au niveau européen. D’après une enquête réalisée entre 2013 et 2015 auprès de 355 musées européens (un chiffre peu représentatif), les résultats suggèrent que les musées dépensent chaque année 75 000 € pour des activités numériques, dont 51 % proviennent de fonds de projets accessoires (Nauta et van den Heuvel, 2015). D’après la dernière enquête européenne de 2017 sur la taille des collections numériques auxquelles 363 musées ont participé, 77 % (soit 279 musées) ont déclaré avoir des collections numériques dont 8,7 % sont exposées en ligne (Nauta, et al., 2017).

Enfin, les coûts de diffusion de ce patrimoine numérisé doivent pouvoir être évalués. Il faudra prendre en compte en premier lieu les droits et licences sur ces fichiers. Ensuite, les outils peuvent aller du site internet, dont les frais de création, de gestion et de maintenance sont généralement raisonnables relativement à un budget de communication, surtout si l’institution possède déjà un site. La diffusion in situ nécessite un matériel informatique plus ou moins spécifique et complexe, de la tablette mise à disposition, à l’écran tactile en passant par des dispositifs muséographiques créatifs. Dans un second temps elle implique également du travail de développement au-delà du strict matériel, qui requiert des compétences spécifiques là aussi et s’avère coûteux (interface interactive, application, etc.) ainsi que du travail de maintenance et de mise à jour de ces dispositifs numériques.

Encore une fois, il est ici impossible d’évaluer précisément les coûts approximatifs pour chaque outil ou mise en scène patrimoniale.

Une grande diversité d’objets[modifier | modifier le wikicode]

La collection muséale n’a légalement pas de valeur monétaire ou en tout cas a une valeur marchande jugée « inestimable », ou neutralisée par son inaliénabilité. Si certains voient dans les coûts d’assurance un moyen d’estimer la valeur d’un objet quant aux précautions prises pour éviter son vol ou sa destruction, il ne s’agit pas là d’une réelle valeur de marché. En revanche, l’objet numérisé est tout à fait exploitable financièrement, le fichier pouvant être mis à disposition dans le cadre d’une exploitation marchande ou non par des tiers.

Une photographie de la Joconde a-t-elle plus de valeur qu’une photographie (de qualité comparable) d’un tableau d’un artiste mineur ? La photographie de la Joconde pourra sans doute créer plus de bénéfice monétaire si apposée sur des objets dérivés, mais scientifiquement, n’est-il pas important de conserver une diversité importante d’œuvres et non seulement les œuvres stars ? Qu’en est-il de la numérisation d’une flèche mérovingienne ou d’une mosaïque romaine ? La valeur de ces fichiers n’est pas attachée à des questionnements esthétiques, mais à une valeur historique en plus d’être dotée d’une valeur de conservation.Un objet numérisé sera moins souvent manipulé, plus facilement catalogué et ainsi plus efficacement analysé par les chercheurs et conservateurs du domaine.

Il y a un certain degré de corrélation entre ces diverses valeurs, mais elles manifestent surtout un découplage entre la valeur de l’objet patrimonial original et celle de ses représentations numériques.

L’objet patrimonial physique peut être revalorisé par la numérisation : mieux connue, mise en valeur par une diffusion accrue et une médiation appropriée, une œuvre peut ainsi être remise en lumière et attirer plus d’intérêt, donc de valeur. Il peut également s’agir de pouvoir consulter des œuvres habituellement en réserve. Karol J. Borowiecki et Trilce Navarrete (2016) font valoir que « La limite physique d’un lieu empêche une large visibilité des objets, tandis que l’accès en ligne permet une visibilité des collections 24/7”. Menant une analyse quantitative, ils comparent l’accès aux objets par des expositions et un accès aux objets en ligne sur Wikipédia. Leurs résultats montrent que l’existence d’une longue traîne (selon la théorie de Chris Anderson) dans les deux cas, bien que la traîne soit légèrement plus longue et épaisse pour l’accès en ligne, permettant de conclure que les « diffusions en ligne des objets constituent donc un complément majeur aux expositions sur site et permettent d’accroître l’accès aux collections. L’accès aux collections en ligne est grandissant dans un marché de réseaux sociaux caractérisés par des communautés d’utilisateurs qui contribuent à sélectionner et classer le contenu afin d’en faciliter la réutilisation. » La preuve de cette longue traîne implique donc que digitaliser les collections physiques permet de rendre plus accessibles et plus visibles des œuvres moins connues ou moins mises en avant lorsque l’institution est limitée par son infrastructure physique. In fine, cela peut permettre à l’institution en elle-même de communiquer différemment sur son offre et ses collections. La fréquentation de l’abbaye de Jumièges a par exemple été renforcée par le développement d’une application qui permet d’en reconstituer l’histoire en 3 D.

À l’inverse, la numérisation peut également aboutir à la dépréciation de l’objet original, si l’on considère qu’il n’est plus dès lors utile d’y avoir accès. Dans un cadre privé, il n’est pas rare, par exemple, que les originaux soient détruits après leur numérisation, ou qu’ils soient stockés de manière à les rendre peu accessibles. Si la destruction des originaux est impossible dans le cadre de collections publiques, il demeure un risque que les originaux deviennent plus difficiles à consulter pour des chercheurs, dès lors que les documents numérisés se retrouvent archivés dans des réserves peu faciles d’accès. Par exemple, des archives de l’institution national de l’audiovisuel (INA) ne sont consultables en version papier uniquement si elles n’ont pas été numérisées, ce qui rend difficile l’accès de certains documents originaux aux chercheurs et utilisateurs de ses ressources.

Cependant, si une longue traîne peut être observée, la courbe traditionnelle du modèle de best-seller ne disparaît pas complètement. Certains objets patrimoniaux bénéficient d’une popularité ou d’une consommation drastiquement plus importantes que les autres. Étudiant les statistiques de consultation ou de téléchargement, il ne s’agit plus de la valeur du fichier consulté mais de l’œuvre originale et de sa propre valeur. Il s’agirait ainsi du résultat d’une opinion partagée sur les œuvres qui ont été numérisées. Selon les statistiques de téléchargement Victor Hugo aurait-il ainsi plus de valeur qu’Edmond About, dans la mesure où un internaute téléchargera plus souvent les œuvres de l’un que celles de l’autre 2?

Une grande diversité d’usages[modifier | modifier le wikicode]

La valeur patrimoniale des fichiers numériques[modifier | modifier le wikicode]

La numérisation des objets patrimoniaux participe à leur conservation, leur diffusion et leur valorisation ; dès lors, il semble pertinent de revenir aux différents concepts mis au point par les économistes pour défendre et évaluer la valeur du patrimoine. Nous argumentons que par extension des missions et attributs du patrimoine tel que traditionnellement conçu, il est possible d’appliquer ces théories à sa numérisation.

Pour les économistes, la question du patrimoine se pose en deux temps. D’une part, comme pour d’autres secteurs artistiques : quels sont ses bénéfices directs, c’est-à-dire quelle est la valeur du patrimoine pour ses consommateurs, ses publics ? Elle s’évalue par la propension à payer de ses derniers. Et, d’autre part, quels sont ses bénéfices indirects ? Ces bénéfices sont la valeur du patrimoine au-delà de sa valeur immédiate auprès de ses publics. La littérature économique examine ces arguments eu égard au financement des musées nationaux et développe une série de valeur distinctes de ces institutions :

La valeur option et la valeur d’existence (Throsby 1994). Duffy (1992) observe que « l’existence d’une demande d’options est un domaine possible de défaillance du marché, car, dans le système de marché, ceux qui ne consomment pas de biens ou de services ne sont généralement pas en mesure d’exprimer leurs préférences par le paiement ». La valeur option implique que le public potentiel donne une valeur à l’institution, mais qu’elle est inférieure au prix d’entrée. Par conséquent, la demande d’options pourrait plutôt être définie comme le fait que les individus pourraient éventuellement demander ces biens ou services à l’avenir. Cette valeur peut être notamment calculée par la méthode d’évaluation contingente (Benhamou et al. 2011 ; Prigent 2001). La valeur d’existence est la valeur que le monument ou objet peut représenter pour une communauté, au titre de sa valeur symbolique, de sa valeur de remémoration et de sa valeur d’ancienneté (Riegl 2016).

La valeur de mérite (Prigent 2001). Elle implique que l’art détient une valeur intrinsèque, elle-même indépendante de la propension à payer ou de l’usage qui en est fait.

La production d’externalité est plus difficile à appliquer directement aux fichiers numériques. Les externalités positives sont les retombées positives de l’existence des biens et services culturels. Elles sont aujourd’hui l’une des justifications principales du soutien public aux arts. Ces retombées se calculent notamment en termes de revenus touristiques ou d’emplois. Ces calculs sont complexes dans la mesure où ils impliquent de déterminer exactement les revenus du territoire, toute chose égale par ailleurs, avec ou sans l’institution patrimoniale. Il semblerait qu’il y ait un risque de surestimation de ces externalités, même si beaucoup d’études montrent les capacités du patrimoine à remodeler une région (voir par exemple l’effet du Guggenheim à Bilbao [Plaza 2006]).

La valeur d’héritage pour les générations futures. Elle implique que le patrimoine doit être conservé pour les connaissances et la consommation potentielle des générations futures. Il faut toutefois considérer que ces générations y verront une valeur positive et pas seulement un fardeau coûteux ; ou un art qui pourrait renaître dans le futur après sa disparition (Peacock, Shoesmith, et Millner 1982). Ici, la place des fichiers numériques est fondamentale, d’une part parce qu’en facilitant sa conservation, le fichier permet de transmettre aux générations futures ce patrimoine, mais d’autre part, ils permettent également de limiter le risque de « fardeaux ». En effet, une fois entièrement numérisé, certains éléments peuvent, même en cas de destruction ou de dommages majeurs, être entièrement reconstruits, rénovés ou reconstitués sur plans précis - par exemple exemple le travail réalisé par l’Iconem avec la numérisation de patrimoines en danger, notamment le patrimoine syrien. Les collections numériques sont par nature des copies, du moins d’elles-mêmes, mais elles sont également irremplaçables si perdues. Les mesures de préservation numérique sont donc essentielles pour garantir l’accès futur aux dépôts numériques.

Créer de la valeur en réutilisant les fichiers[modifier | modifier le wikicode]

Comme évoqué précédemment les fichiers numériques peuvent être mis à disposition, que ce soit gratuitement ou sous licence marchande. Dans les deux cas, ces réutilisations sont créatrices d’une nouvelle valeur, quel que soit l’usage, qu’un tableau soit exploité dans une publicité ou réutilisé par un enseignement dans un cours. Il est bien sûr plus facile d’évaluer la valeur marchande. Certains musées, comme le Rilkjmuseum d’Amsterdam, sans être le premier, ont choisi de mettre à disposition des milliers d’œuvres numérisées en très grande qualité gratuitement pour tout usage, y compris lucratifs. Le musée peut lui-même exploiter ces images, en produisant des objets dérivés et autres produits vendus dans sa boutique ou en ligne.

Créer de la valeur pour la science[modifier | modifier le wikicode]

La création d’une valeur scientifique est au cœur de la numérisation. Il s’agit d’abord de garantir une trace de l’objet, quel que soit son sort, qu’il est parfois difficile de maîtriser (incendie, objet périssable, vol, accident, voire destruction en temps de guerre). La numérisation, proprement sauvegardée, permet en tout état de cause de transmettre aux générations futures et aux prochains conservateurs et chercheurs de continuer son étude. Par ailleurs, les technologies avancées permettent aujourd’hui de réaliser des analyses sans endommager les objets, voir l’intérieur d’une momie sans l’ouvrir, les couches successives d’une fresque sans la gratter, les retouches d’un tableau sans le restaurer. Les numérisations permettent d’augmenter de manière exponentielle la capacité des chercheurs à analyser leurs sujets d’étude à moindre risque d’endommagement. Il est également désormais possible de réaliser une modélisation 3D d’un objet endommagé par le temps (rouille ou dépôt par exemple) puis d’en réaliser une impression 3D sans ses dommages, afin de pouvoir étudier l’objet sans même le manipuler ou devoir le nettoyer (en prenant des risques).

Créer de la valeur pour les publics[modifier | modifier le wikicode]

Enfin, il est très clair que la valeur de diffusion, de pédagogie et de transmission des œuvres numérisées est au cœur des missions des institutions patrimoniales. Ces copies permettent de montrer plus loin, montrer différemment, voire montrer à des publics plus spécifiques.

Les économistes ont soutenu que les musées font une utilisation inefficace de leurs collections, car moins de 10 % sont toujours exposées (Frey, 2006). Toutes les dépenses passées liées à l’acquisition, à la préservation, à la recherche et à la documentation sont une perte lorsqu’un objet est stocké en permanence, en plus d’empêcher l’affectation de ressources à d’autres activités. Dès lors, comme déjà mentionnée, la mise à disposition des collections en ligne fait disparaître les frontières et les barrières géographiques et permet une diffusion plus large des collections. Il s’agit également là pour l’institution d’un outil non négligeable de communication. Si la visite d’un musée ou d’un château est en économie considérée comme un bien d’expérience dont il ne serait pas possible de prévoir la satisfaction du consommateur avant sa consommation, la mise à disposition de visite virtuelle ou des collections en ligne pourrait être un moyen de réduire l’incertitude des visiteurs potentiels quant à la qualité de leur prochaine visite.

La numérisation offre une valeur ajoutée à la médiation in situ. À titre d’exemple, la mise en valeur des pièces de monnaie romaine du Saint Raymond de Toulouse par une visualisation 3D disponible sur un écran tactile permet d’une part de voir ces objets habituellement posés à plat dans une vitrine parfois assortis d’une loupe, en très grand, mais également de faire tourner l’objet et d’observer ses deux faces. Les pièces sont également accompagnées de diverses informations complémentaires ainsi que de l’association en superposition des bustes d’empereur exposés dans la même salle. Ainsi, ces objets sont ludifiés, mais surtout augmentés dans leur signification. Il devient possible de zoomer, de toucher, de tourner, de colorier, de consulter les notes de catalogues. Il devient également possible de retrouver a posteriori des objets vus pendant une visite. Par exemple, the Museum of Arts and Design à New York confie un stylet à chaque visiteur, compatible avec l’ensemble des dispositifs numériques du musée, mais aussi avec l’ensemble des cartels ; le stylet permet d’enregistrer individuellement les œuvres choisies pour ensuite grâce à un code personnel les retrouver sur le site du musée, associé à du contenu supplémentaire. Il s’agit là d’un outil pour apprécier le musée in situ et continuer la visite en ligne, mais également un moyen pour le musée de suivre les choix et activités de ses visiteurs.

Utiliser les données récoltées grâce à la consultation des fichiers[modifier | modifier le wikicode]

Avec l’augmentation du trafic sur les sites internet des institutions et de l’usage des outils de médiations numériques in situ, les musées agrègent de plus en plus de données sur les utilisations et les utilisateurs de leurs outils. Encore balbutiante, l’exploitation des big datas relatives aux usages du patrimoine peut permettre aux institutions de mieux connaître leurs visiteurs, sur place et en ligne afin d’affiner leur communication globalement, mais également leur proposer des contenus individualisés ou dont la présentation sera adaptée (à l’âge, au niveau de spécialisation dans le domaine, aux goûts).

Vers de nouveaux modèles économiques[modifier | modifier le wikicode]

Ce chapitre offre un tour d’horizon des principales questions économiques relevant des coûts et valeurs soulevées par la généralisation de la numérisation du patrimoine. Ces notions entraînent inévitablement la question suivante : qui est responsable pour ces investissements ? Par la détermination et la justification des valeurs diverses de ces fichiers et de leurs usages multiples, les institutions seront à même d’organiser leurs démarches (internalisation, collaboration, externalisation), la formation de leurs équipes ainsi que leurs relations à leurs tutelles et financeurs le cas échéant.

De nouvelles formes de modèles économiques pourront également se dessiner : si nombre de mises à disposition des collections en ligne sont aujourd’hui gratuites, certains musées ont essayé d’expérimenter avec un modèle d’abonnement semblable à la presse écrite en ligne. Cependant, la National Gallery de Londres a récemment essayé de faire payer aux visiteurs une visite en ligne de son exposition Artemisia Gentileschi entraînant un grand nombre de critiques. En revanche, au cours de la conférence en ligne Louvre Abu Dhabi and NYU Abu Dhabi’s « Reframing Museums » du 16 au 18 novembre 2020, Jousset fait valoir que les grands musées peuvent tirer de nouveaux revenus de la monétisation des licences sur leurs œuvres auprès de grandes entreprises. Peugeot-Citroën, par exemple, a payé pour tourner la campagne de sa berline DS haut de gamme dans la pyramide du Louvre pour la commercialiser auprès d’un public chinois. On pense également à la collaboration entre la marque Vans et le Musée Van Gogh d’Amsterdam. Cependant, ces licences ne semblent être une option que pour les grands musées disposant d’œuvres particulièrement connues ou d’une image de marque déjà bien établie.

Enfin, il est impossible de ne pas prendre en compte dans cette analyse l’année 2020 et les multiples confinements qui ont fermé les portes des institutions durant de longs mois partout dans le monde. Le numérique est devenu alors le seul moyen de diffuser la connaissance qu’elles contiennent, mais également de rester en contact avec leurs publics. Les visites en ligne et la consultation des collections sur les sites internet sont devenues les seules options. Si ces démarches sont pour le moment majoritairement gratuites, certains nouveaux acteurs tentent des créer une nouvelle proposition. En juillet 2020, Amazon Explore lance une offre de visites virtuelles onéreuse (45 à 140 dollars). L’INA a institué dès 2015 une formule premium d’accès à ses archives, pour 2,99 euros par mois. Ou enfin, depuis 2018, la plateforme en ligne Universal Museum of Art (UMA) produit des expositions virtuelles en partenariat avec 70 musées français, pour des coûts de 5 000 à 20 000 euros, ainsi qu’une quinzaine d’expositions imaginaires réalisées par des curateurs indépendants. Gratuite pour le moment, UMA espère passer en mode payant (Azimi 2020).

Les années à venir vont probablement voir se modeler de nouveaux usages et nouvelles pratiques de consommation du patrimoine créant de nouvelles valeurs économiques et de la place pour l’innovation d’acteurs existants ou entrant sur le secteur.

Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

ANDERSON, Chris. La longue traîne. Pearson, 2012.

AZIMI, Roxana. « Les musées cherchent à monétiser leur offre numérique ». Le Monde, 19 novembre 2020. https://nouveau.europresse.com/Link/pantheonT_1/news%c2%b720201119%c2%b7LM%c2%b73106728.

BENHAMOU, Françoise et THESMAR, David. Valoriser le patrimoine culturel de la France. La documentation française, 2011.

BOROWIECKI, Karol J. et NAVARRETE, Trilce. THE LONG-TAIL OF MUSEUM COLLECTIONS: ETHNOGRAPHIC COLLECTIONS ONSITE AND ONLINE. In: Actes du Colloque international sur la mesure des produits culturels numériques. p. 109.

DUFFY, Christopher T. ‘The rationale for public funding of a national museum’. In Cultural economics, 1992, 37‐ 48. Springer..

FREY, Bruno S. et MEIER, Stephan. The economics of museums. Handbook of the Economics of Art and Culture, 2006, vol. 1, p. 1017–1047.

NAUTA, Gerhard Jan et VAN DEN HEUVEL, Wietske. Survey report on digitisation in european cultural heritage institutions 2015. Mode of access http://www.den.nl/art/uploads/files/Publicaties/ENUMERATE Report Core Survey, 2015, vol. 3, p. 2013–2015.

NAUTA Gerhard Jan, Heuvel Wietske van den, Teunisse Stephanie (2017). Europeana DSI2 – Access to Digital Resources of European Heritage. D4.4 Report on ENUMERATE Core Survey 4. https://pro.europeana.eu/page/past-surveys.

NAVARRETE, Trilce. On the economics of physical and digital collections in museums. Uncommon Culture, 2018.

PEACOCK, Alan, Eddie Shoesmith, et Geoffrey Millner. 1982. Inflation and the performed arts. Arts Council of Great Britain London.

PRIGENT, Lionel. Valeur d’usage et valeur de non-usage d’un patrimoine : une application de la méthode d’évaluation contingente au Mont-Saint-Michel. 2001. Thèse de doctorat. Brest.

RIEGL, Aloïs. 2016. Le Culte moderne des monuments : sa nature et ses origines. Allia

THROSBY, David. The production and consumption of the arts: A view of cultural economics. Journal of economic literature, 1994, vol. 32, no 1, p. 1–29.

1 https://www.bnf.fr/fr/prestation-archivage-numerique

2 . Disponibles par exemple sur le site du Project Gutenberg : https://www.gutenberg.org