II-C-1

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C - Design et esthétique des patrimoines numérisés 1. Formes, formats, formatage : vers un design des sciences ?

Anthony Masure/anthonymasure@gmail.com

Anthony Masure & Alexandre Saint-Jevin

Introduction[modifier | modifier le wikicode]

Dans son œuvre Herbarium (1985), l’artiste espagnol Joan Fontcuberta créé des plantes fictives réalisées à partir d’objets inanimés (cordes, rallonges électriques, etc.), imitant les codes de la photographie scientifique (cadrage, point de vue, etc1.) et reproduisant plastiquement et graphiquement les classifications naturalistes des êtres vivants (noms latins, etc.). Cette production de vraisemblance par le recours à une esthétique scientifique va se poursuivre dans Fauna (1987), dans lequel l’artiste construit un mythe autour de l’identité d’un zoologiste mystérieusement disparu dans les années 1955 (le Dr. Ameisenhaufen), dont il présente la découverte d’animaux totalement inconnus à ce jour, qui sont en fait des photomontages. Joan Fontcuberta montre que les formes des recherches scientifiques ne sont pas neutres, et qu’il existe bien une esthétique renvoyant à la science et délivrant une impression de véracité voire une valeur de vérité. Cette dimension formelle inclut également les codes liés à l’usage d’illustrations, schémas ou symboles, dont l’étude du point de vue de l’art et du design émerge dans les visual studies ou l’anthropologie graphique de la science (Renon, 2020).

Plus largement, ce contexte de reformulation des sciences depuis des considérations propres aux champs de l’art et du design interroge une dimension de la recherche généralement comprise comme lui étant exogène : celle des formats. Les formats de la recherche (formats administratifs, intermédiaires, de restitution) sont habituellement considérés comme « neutres », dans une absence de prise en compte de leurs dimensions esthétiques, politiques et économiques. Pour comprendre leur importance – ce qui est l’objectif de ce texte – nous pouvons par exemple nous référer aux travaux de l’artiste chinois Virgil Wong, qui jouent de la limite entre vraisemblance et illusion. Le site Web de son œuvre POP! The First Human Male Pregnancy (1999) reprend le format d’un journal d’un laboratoire de recherche privé restituant le quotidien d’une gestation masculine (Ingram-Waters, 2016) : conçu dans l’optique de créer une dynamique de viralité, le site est enrichi en permanence de photographies retouchées à l’allure scientifique venant attester de cette grossesse et témoigner de son évolution, ainsi que de faux articles imitant les codes du journalisme scientifique2.

Les travaux des artistes Joan Fontcuberta et Virgil Wong montrent que la recherche scientifique n’est pas esthétiquement neutre. Dès lors qu’un public (élargi ou non) est capable de l’identifier, celle-ci va conférer aux formats de la recherche une dimension de scientificité provoquant un questionnement et la nécessité de déterminer la véracité de cette vraisemblance. On comprend ainsi que s’opère une sorte d’impensé des questions et enjeux épistémologiques de la représentation des démarches scientifiques, comme si la manière dont on se figure un fait, un phénomène, un concept, etc., n’avait aucun lien avec la manière dont on le pense. La dimension normative propre à la grammaire visuelle et syntaxique de la recherche joue pourtant ainsi grand rôle dans ce qui va être, ou non, considéré comme scientifique.

Cette dimension formelle ne s’arrête pas au registre visuel, car le texte « seul » peut faire office de format. Si le canular scientifique n’est pas nouveau3, un exemple récent a mis en évidence le lien entre l’expression écrite et la perception du degré de scientificité. Dans un article à propos du traitement de la Covid-19 par la chloroquine, un groupe de jeunes chercheurs a voulu montrer la prédominance du format scientifique sur la méthodologie de recherche (Oodendijk et al., 2020). Respectant les grandes lignes de la structure type des revues scientifiques de médecine, ce texte démontre que la prise de chloroquine diminuerait le nombre d’accidents en trottinette électrique. Signé, en plus des « vrais » auteurs, par des pseudonymes tels que Didier Lembrouille, Otter F. Hantome, Nemo Macron (Némo étant le prénom du chien d’Emmanuel Macron) ou Sylvano Trottinetta, cet article de recherche, dont toutes les statistiques sont fausses, est quasi uniquement constitué de phrases obscures et de copier/coller de sources habituellement considérées comme illégitimes scientifiquement (Wikipédia, films les Bronzés font du ski, Dark Knight Returns, etc.). Malgré ces incohérences, l’article a été évalué positivement par trois experts universitaires avec quelques demandes de modifications formelles4, et fut publié en août 2020 dans la célèbre revue Asian Journal of Medecine and Health. De l’aveu du chercheur en philosophie Florian Cova, l’un des auteurs du canular, l’objectif était de réagir à la publication un mois plus tôt dans cette revue d’un article prétendument sérieux et érigé comme preuve de l’efficacité de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine contre la Covid-19. Cette initiative met en évidence le phénomène grandissant des revues de recherche « prédatrices », qui n’ont pour principal but que de récolter des sommes d’argent5 et non pas de contribuer au développement des connaissances.

En plus montrer que les formats en viennent à dominer la recherche scientifique, ces différents exemples attestent que les chercheur·euses, pour être reconnu·es en tant que tel·les, doivent avant tout être, non pas des expert·es d’un champ de recherche ou novateur·trices dans ce dernier, mais des expert·es des formats des revues et conférences scientifiques. Pour mieux comprendre la construction et l’importance des formats de recherche dans les démarches scientifiques, cet article vise ainsi à démontrer que le design, ce champ interdisciplinaire habituellement situé « entre art et industrie », est déjà présent dans les pratiques scientifiques, mais fait l’objet d’un déni car les chercheur·euses le comprennent généralement comme une activité commerciale ou de communication. Autrement dit, cette mauvaise compréhension du design entraîne une difficulté à comprendre l’incidence des formats dans les méthodes de recherche. Le design, ici compris comme un cheminement dans les qualités formelles, structurelles et fonctionnelles des objets (Masure, 2017) montre pourtant que des éléments a priori aussi anodins qu’une police de caractères, qu’une mise en page, etc., ont une longue histoire faite de ruptures, de continuités et de partis pris. Ainsi, les formes et formats des productions scientifiques ne sont pas de simples paramètres extérieurs à la recherche (qui lui seraient préalables), mais ont nécessairement et directement une influence sur la recherche et ses méthodologies. Nous pouvons dès lors nous demander : en quoi le design permet-il de (re)penser les enjeux des formats de la recherche ?

Pour traiter cette question, nous étudierons tout d’abord les relations entre les notions de forme, format et formatage au prisme du design. Dans un deuxième temps, nous analyserons leurs implications dans le champ des « sciences du patrimoine », objet de l’ouvrage accueillant ce chapitre. Les sciences du patrimoine sont définies par le Ministère de la Culture comme des « recherches [qui] portent sur l’ensemble des domaines patrimoniaux, matériel, immatériel ou numérique. Elles constituent un champ particulier [...], qui [désigne] dans toute leur diversité les disciplines scientifiques sollicitées pour la connaissance, la conservation, la restauration et la transmission du patrimoine » (Ministère de la Culture, 2018). Les métiers du patrimoine, ceux de la conservation à ceux de la médiation en passant par ceux de la restauration, sont étroitement liés à la recherche. Les professionnels du patrimoine, de l'architecture, de l’art et du design, sont de plus en plus impliqués dans la recherche aux côtés des universitaires, depuis la définition des projets jusqu’à la production et à la restitution des résultats. Il s’agira ainsi d’examiner où se situe le design dans les formats de recherche en sciences du patrimoine – la notion de patrimoine pouvant sous-entendre l’idée d’un héritage commun, ce qui ne va donc pas sans poser problème dans le cas des formats. Autrement dit : comment conjuguer la dimension de transmission voire de conservation inhérente à la notion de patrimoine avec l’idée de repenser les formats de la recherche ?

Critique de la neutralité scientifique et des « sciences du design »[modifier | modifier le wikicode]

Le format comme condition de possibilité[modifier | modifier le wikicode]

Avant d’examiner en quoi la notion de format pose problème dans la science, il nous faut tout d’abord définir ce terme. Dérivée de forme, la notion de format (formato) désigne à l’origine les « dimensions du papier », puis en est venue à prendre le sens de « mesure » et de « dimension ». On comprendra ainsi que le format permet de cadrer et d’écarter des formes potentielles (Falguières, 2010). Nous le préférons aux concepts de support et de média, en raison de sa proximité avec le champ du design (de par ses caractéristiques esthétiques et matérielles) et des technologies numériques (qui façonnent voire formatent les modes de pensée et de recherche). La notion de format a fait l’objet de travaux dans le champ des arts visuels (Zerbib, 2015 ; Quintyn 2017), qui montrent que l’expression humaine n’est pas séparable de ce qui l’incarne. Donner une définition de Zerbib. Dans le champ des technologies numériques, les files studies, dérivées des digital studies, s’attachent à penser les enjeux esthétiques et socio-politiques de formats de fichiers comme le .mp3 (Sterne, 2012) ou le .doc (Fuller, 2003). Le format ne donc doit pas être seulement envisagé comme simple véhicule, ensemble de dimensions ou normes techniques : il s’agit de le considérer comme matrice, médiateur, cadre opératoire (Brulé & Masure, 2015), ou « condition de possibilité » (Huyghe, 2015).

Critique de la neutralité des modèles scientifiques[modifier | modifier le wikicode]

Pour comprendre en quoi la notion de format n’est pas souvent considérée comme un enjeu pour la recherche scientifique, il faut tout d’abord revenir sur la notion de neutralité. Depuis le « positivisme » d’Auguste Comte (1798-1857) et sa volonté d’écarter les « causes premières » des choses (Comte, 1830-1842), la recherche scientifique actuelle tend à s’affirmer comme une unité dans un modèle scientifique neutre : « la » science. Nous savons pourtant que tout système scientifique, en ce qu’il est formel, se construit sur des éléments indémontrables. Au début des années 1930, le mathématicien Kurt Gödel démontre que tout système formel comporte au moins une thèse indémontrable dans ce système. Il prouve ainsi que tout système formel est « incomplet » : c’est le théorème d’incomplétude. Cette mise en doute de la faculté des mathématiques à parvenir à établir une vérité universelle montre que tout système logique comprend un point aveugle, et qui n’est donc pas neutre. Autrement dit : la science ne repose pas uniquement sur des phénomènes scientifiques. Ce paradoxe résonne avec des démarches épistémologiques actuelles, que l’on peut regrouper sous l’égide des science studies, à savoir l’étude des conditions et des pratiques de la science (Pestre, 2006). Par exemple, la psychologie sociale, avec des travaux d’Alex Bavelas à ceux de Michel-Louis Rouquette (Rouquette, 1973), montre que la recherche s’appuie aussi sur des phénomènes psychosociologiques de régulation des relations entre les acteurs. La sociologie des sciences expose que la recherche s’organise selon des règles plus ou moins explicites, des tâches hiérarchisées, des formes d'interaction spécifiques et des rapports de dépendance6 7 8. Les mathématiques, science formelle par excellence, ne sont pas non plus indemnes puisqu’il semblerait qu’une sorte d’histoire de l’art des styles mathématiques serait possible9. Plus largement, les travaux en sociologie des sciences ont montré qu’il existe d’étroites relations entre les conditions et situations matérielles propres à la science et l’élaboration des théories scientifiques. Par exemple, en archéologie et en ethnographie, la médiation technique des matériaux, instruments, outils, etc. participe directement de la construction de connaissances10. Il en va de même, par exemple, dans l’agencement d’informations sur une feuille de papier, dans la façon de disposer des données en diagrammes, dans la manière de présenter un code source informatique11, ou dans l’intonation de la voix d’un·e chercheur·euse. On voit bien ici que dans les sciences, qu’elles soient dites « humaines et sociales » ou « exactes », les notions d’outil, d’instrument voire d’appareil s’intercalent avec celles de forme et de format.

Si, comme nous venons de le voir, toutes les sciences sont aux prises avec les limites que pose l’esthétique à la notion de neutralité, qu’en est-il des relations entre des situations de recherche et des artistes et designers ? Plus précisément, si la recherche scientifique institutionnalisée se déroule au sein de « laboratoires », que se passe-t-il quand des acteurs venant de l’« atelier » les intègrent ? Comment les artistes et designers vont-ils se positionner face à la science ?

Le laboratoire comme opération intellectuelle[modifier | modifier le wikicode]

L’atelier est traditionnellement le lieu où travaillent les artistes. Historiquement, les ateliers sont d’abord confondus avec des endroits comme les échoppes et monastères12. À la Renaissance, le modèle de la commande et l’autonomie du statut d’artiste entraîne un développement urbain des ateliers. L’atelier d’artiste va devenir un lieu non seulement de travail, mais également de formation et d’exposition. Si la dimension collective, alors prépondérante, perdure jusqu’à aujourd’hui dans des lieux de vie fonctionnant par communautés d’intérêts (La Factory à New York, etc.), l’atelier va perdre sa dimension collective et se centrer sur l’activité de travail. La désindustrialisation de l’occident conduit à l’intégration des ateliers dans des « styles de vie », où des usines sont régulièrement reconverties en musées, lieux culturels, etc. (Les Abattoirs, Le 104, Tate Modern, etc.), et où l’architecture de musées reprend des principes industriels (Centre Pompidou, Lafayette Anticipations, musée des beaux-arts d’Appenzell, etc.).

On donne généralement comme référence de la sortie de l’atelier les impressionnistes qui, grâce à la l’invention des tubes de peinture, peuvent peindre sur le motif13. Dans l’industrie, les « tableaux téléphoniques » de László Moholy-Nagy mettent en évidence l’incidence de la production en série : l’artiste n’a plus besoin d’atelier pour faire art14. Mais c’est le mouvement du bioart qui va le premier permettre une articulation entre laboratoire et art. Le bioart (généralement traduit par genetic art en anglais) regroupe l’ensemble des pratiques artistiques s’intéressant aux manipulations génétiques et à la création d’entités vivantes chimériques15. Pour des raisons techniques, les artistes ne peuvent réaliser « seul·es » de telles œuvres. Dans le contexte de son travail sur l’ADN, Joe Davis, en 1950, est habituellement considéré comme le premier artiste à investir un laboratoire biologique. En 1975, Marta de Menezes ouvre un laboratoire d’expérimentations artistiques collaboratives, suivi en 2000 de SymbioticA, le premier laboratoire scientifico-artistique à la University of Western Australia (Perth) à l'initiative de Oron Catts et Ionat Zurr16. S’il s’agissait principalement pour ces artistes de s’approprier les technologies de la biologie comme médium de création artistique, leurs collaborations avec des scientifiques vont progressivement amener ces derniers, de par la mise en évidence de tensions entre art et science, à des questionnements enrichissant leurs propres recherches17. Ainsi, les artistes ne vont pas seulement produire de l’art mais vont, par leur processus heuristique critico-créatif, interroger les sciences dans leur scientificité, notamment en exacerbant l’imaginaire sur lequel elle se fonde et les enjeux de pouvoir qui y sont à l’œuvre18. Ainsi, en Argentine, le BIOLAB de l’université Maimónides de Buenos Aires pense le laboratoire comme un « échange de connaissances entre artistes et scientifiques19 ».

L’exemple du bioart est significatif des relations entre le design et des situations de recherche. En effet, les travaux de TC&A (Tissular Cultur & Art) d’Oron Catts et Ionat Zurr, vont être une source d’inspiration du design critique d’Anthony Dunne et Fiona Raby. Dunne explique que les travaux comme Victimless Leather20 (2004), permettant de produire de la viande sans tuer d’animaux par la reproduction cellulaire, ouvrent une remise en question des rapports entre design et sciences, et à un entrelacement entre les recherches en atelier de design et en laboratoire. Inspiré par TC&A, le projet Dressing the Meat of Tomorrow21 (2006) de James King a pour but de de sortir les IRM (Imagerie par résonance magnétique) du laboratoire pour scanner des animaux et élaborer des gabarits de moules à viande. Contrairement à la science et à l’art, on voit ici que le design vient penser des technologies émergentes dans des situations quotidiennes fictives mais crédibles. Le designer Anthony Dunne note ainsi que « le type de débat engendré par le passage du monde abstrait du laboratoire et de la galerie à un contexte commercial fictif sollicite l’imagination différemment de l’art et de la science22 ».

Pour saisir en quoi le laboratoire diffère de l’atelier, le philosophe Pierre-Damien Huyghe propose de comprendre ce concept au regard de l’histoire, en apparence lointaine, du Bauhaus (1919-1933). Il commence par rappeler que laboratoire est étymologiquement proche de « labour » (Huyghe, 2019), à savoir l’opération visant à préparer un champ par du terreau et des semailles. Ainsi, le laboratoire diffère de l’atelier en tant qu’il y est moins question de réalisation que de préparation, que « de la transformation de quelque substance ». Dans un article publié en 1925, l’architecte Walter Gropius, fondateur du Bauhaus, écrit que « les ateliers du Bauhaus sont, dans le fond, des laboratoires » (Gropius, 1923). En situant le design à l’intersection des trois pôles « de la forme, de la technique et de l’économie », Gropius, selon Pierre-Damien Huyghe, et contrairement à l’artiste William Morris partisan d’un retour à l'artisanat (Branzi, 1984 : 15), montre que les machines ne sont pas fatalement le lieu d’une division des tâches, mais qu’il peut au contraire s’y réaliser une « union » du travail « à la condition d’ouvrir des espaces de travail – les laboratoires, les laboratoires-ateliers » (Huyghe, 2019). À partir de ces éléments d’analyse, Huyghe conceptualise l’atelier non pas comme un lieu physique, mais comme une « opération » : « L’opération de pareil laboratoire […] travaille un champ où l’économie est déjà bien capable de travailler elle-même sans toutefois […] prendre garde à toute la fertilité possible du milieu. » (Huyghe, 2019)

Au vu de ces propos, on comprend que l’idée de laboratoire, évidemment bien plus ancienne que la Bauhaus, est transformée par le travail des artistes et des designers. En faisant apparaître des dimensions que la science ne peut voir seule, et qui interrogent la notion même de scientificité (idéalement non soumise à des enjeux de pouvoir, au poids des imaginaires, etc.), les artistes et designers se confrontent aux techniques et technologies dans un autre rapport que de simples « moyens de production ». De même, les designers font surgir dans l’industrie (et donc dans l’usine) des enjeux propres à l’atelier, à savoir un travail avérant les potentialités des machines en mettant à distance les injonctions capitalistes de rentabilité et d’économie (Midal, 2009 : 37). Pour autant, la science passe souvent sous silence les enjeux de ses choix esthétiques et économiques, en les reléguant à des questions subsidiaires (comme s’il y avait une neutralité politique des recherches sur le nucléaire ou sur la conquête spatiale en pleine Guerre froide, ou comme si la construction de systèmes graphiques n’avait pas eu d’influence pour penser la chimie organique de manière formelle), pour construire un mythe de neutralité qu’elle impose à l’art et au design pour les dominer. Qu’en est-il, dès lors, de la place des designers au sein des laboratoires, et plus précisément des laboratoires universitaires ?

Risque d’un devenir « scientiste » de la recherche en design[modifier | modifier le wikicode]

Le designer, mis en contact avec le laboratoire, va d’abord reproduire les méthodes scientifiques et les transposer dans le champ du design pour aller vers une « science du design ». Afin de comprendre en quoi il est hasardeux de réduire la science à une volonté d’objectivité et de rationalité (Nigel Cross, 200123), on peut par exemple se référer à l’article de Walter Gropius « Existe-t-il une science du design ? [Is there a science of design?] » publié en 1947. Dans cet essai, Gropius ne répond pas par l’affirmative à la question, mais tente de comprendre l’activité de création comme une tension entre le conscient et le subconscient. Selon Gropius, la connaissance du fonctionnement de l’œil est un prérequis indispensable du design. S’il existe, selon lui, des lois objectives de la perception visuelle (une « clé optique »), celles-ci restent à clarifier et ne pourront « jamais devenir une recette ou un substitut de l’art » (Gropius, 1947). L’analyse de Gropius renvoie à une position critique des artistes vis-à-vis des sciences, dans leur dialectique entre le vrai et le faux, initié à la renaissance par l’architecte Leon Battista Alberti dans son De Pictura de 1435, consistant à penser la démarche sensible comme un dépassement de cette dialectique en disant qu’il importe peu à l’artiste de déterminer qu’elle est la part de vérité ou non des théories scientifiques sur les couleurs, si elles n’apportent rien au travail sensible de l’artiste, si elles ne lui apprennent pas comment peindre.

Un autre exemple intéressant est celui de l’école d’Ulm (1953-1968), à la base du design dit « industriel », et qu’on pourrait spontanément rattacher à ce que dit Herbert Simon dans son ouvrage Les sciences de l’artificiel (Simon, 1969), où il comprend le design comme une « résolution de problèmes » (problem solving) et plaide pour le développement d’une « science de la conception ». Or l’idée d’un « design comme science » (design science) à Ulm n’est pas placée sous le signe de l’évidence, mais fait au contraire l’objet de nombreuses tensions, débats et controverses. Dans son histoire de la HfG Ulm, le designer Herbert Lindinger note qu’à Ulm, contrairement au Bauhaus, « le designer ne pouvait plus, dans le cadre du processus industriel et esthétique, se considérer comme un artiste, personnage d’un rang supérieur. Il devait se plier à un travail de groupe, incluant les scientifiques, les chercheurs, les commerciaux et les techniciens » (Burkhardt, Eveno, Lindinger, 1988 : 6). Dans ce même texte, Lindinger montre à plusieurs reprises que les rapports design/science, à Ulm, n’ont rien d’évident : « La naissance du ‹ modèle ulmien › portait en gestation la crise suivante : l’hégémonie des sciences sur le design [...] Le revers de la médaille en fut un positivisme scientifique qui se répandit à Ulm à partir de 1958. » Cette difficulté à tenir comme évidente l’association science/design se retrouve dans la chronologie de la HfG Ulm placée en fin d’ouvrage : « 1958 : Science et design cela va-t-il ensemble ? ; 1960 : Science contre design ; 1962 : ‹ Le design c’est plus qu’un ensemble de méthodes analytiques › » (Burkhardt, Eveno, Lindinger, 1988 : 75-76).

Ainsi, pour Ulm, ce qui pose problème dans les rapports design/science n’est pas la science en général, mais les conséquences du positivisme et le paradigme de l’objectivité dans les champs de création, qui vont réduire la démarche de design à une suite de procédés potentiellement réplicables. La science peut bien entendu apporter des connaissances au design (problématiques sociales, écologiques, etc.), mais si Ulm pose que le designer peut être considéré comme un « collaborateur scientifique » (Burkhardt, Eveno, Lindinger, 1988 : 9), c’est car la collaboration entre design et science n’opère pas un effacement des deux pôles (si tout est homogène, alors il ne peut plus y avoir de collaboration). Il nous semble ici qu’il y a un amalgame entre la science positiviste et la rationalité. Il s’agit en effet depuis le Bauhaus d’un travail de conceptualisation de l’art et du design mais qui ne renvoie pas à la même terminologie scientifique que le positivisme. En effet, il s’agit avant-tout d’esthétique et d’une conception de la science très différente de celle des sciences expérimentales et formelles. En 1759, Alexius von Baumgarten, dans son ouvrage Aesthetica, fonde l’esthétique comme science du sensible par opposition à la logique et aux sciences expérimentales naissantes dans l’empirisme de son maître Wolff. Il y explique que, comme la logique produit un savoir par la raison, par parallélisme l’art produit un savoir par un analogon racionis. Ce savoir sensible, bien que théorisable, n’est pas théorique : il ne se constitue que par l’expérience sensible. Comment cette approche sensible s’incarne-t-elle habituellement dans les formats de la recherche scientifique ?

Le format comme « allure » de scientificité[modifier | modifier le wikicode]

Les éléments évoqués en introduction de ce texte montraient que les formats en viennent à dominer la recherche scientifique. L’analyse de la place des designers et des artistes au sein des laboratoires nous a conduit à montrer d’une part les limites d’une économie aveugle aux potentialités des techniques, et d’autre part la capacité à faire surgir au sein de la science des dimensions échappant à la scientificité. Pour aller plus loin dans l’étude des liens entre formats et science, il est intéressant de s’intéresser à à « l’allure24 » que va prendre cette quête de scientificité. De façon ironique, la chercheuse Lysianne Léchot Hirt note dans le premier numéro de la revue Sciences du Design que « l’absence d’illustrations dans la plupart des revues savantes, les mises en pages approximatives des PowerPoints [...], la quasi-inexistence d’expositions de design de recherche, tout témoigne activement du fait que la qualité plastique, formelle et matérielle du design est une variable négligeable de l’équation scientiste » (Léchot-Hirt, 2015). Selon elle, une telle visée « scientiste » confond les « pratiques expérimentales » (Léchot-Hirt, 2020) de la recherche « en » design (recherche-création ou recherche projet) avec la recherche « sur » le design (venant sortir le design et l’extraire de son champ) (Huyghe, 2017). À suivre Lysianne Léchot Hirt, il y aurait donc une contradiction à faire de la recherche en design en traitant les enjeux de formes et de formats comme des éléments exogènes (Blanc et Haute, 2018), qui n’auraient aucune incidence sur les supposés « contenus ». En effet, des éléments en apparence aussi anodins que le choix ou le non choix (« par défaut ») d’une police de caractères comme le Times New Roman dans les publications de recherche (Masure, 2018), d’un logiciel de slides (Frommer, 2010), ou de façon plus générale de formats de fichiers « propriétaires » (sous licences propriétaires) ont des incidences profondes sur les pratiques de recherche – et ce bien au-delà du champ du design.

Ce déni des formats a des conséquences multiples. Tout d’abord, il consolide l’opposition séculaire entre le fond et la forme, comme si le sens pouvait exister de façon non incarnée, « immaculée ». Il n’est pas ici question de goût ou de préférence individuelle pour tel ou tel format, mais bien d’épistémologie, à savoir de façon d’élaborer les connaissances. De plus, ce déni contribue à écarter la recherche scientifique de la société civile (difficulté à communiquer au-delà des pairs). Enfin, la réduction du design à des registres commerciaux et de communication fait obstacle à une meilleure compréhension des dimensions économiques et politiques des formats de la recherche (Masure et Saint-Jevin, 2018).

Ouvrir les formats de la recherche[modifier | modifier le wikicode]

Pour mieux comprendre l’incidence des formats dans la recherche, nous allons à présent étudier comment les designers peuvent révéler des dimensions formelles, techniques et économiques (pour reprendre les termes de Gropius) impensées par les chercheur·euses. Nous proposons ainsi d’examiner l’idée non pas d’une absence d’esthétique dans la science, car celle-ci est toujours présente, mais d’un « impensé » (Masure, 2018) des formes et formats de la recherche qu’une meilleure compréhension du design par les scientifiques pourrait permettre d’éclairer. Nous proposons pour cela de recourir à une méthodologie de recherche basée sur des notions propres au champ du design (Masure, 2017 ; Saint-Jevin, 2018a ; Saint-Jevin, 2018b) renvoyant non seulement à des concepts, mais aussi et surtout à des expériences sensibles de projets de design et d’œuvres d’art. Comme noté en introduction de cette contribution, par cohérence avec le reste de l’ouvrage, nous concentrerons nos exemples sur l’incidence des technologies numériques dans le champ des « sciences du patrimoine » pour montrer comment s’y jouent les notions de forme, de format et de formatage – les axes de travail énoncés ci-dessous n’ayant pas valeur d’exhaustivité.

Sortir du « tout » texte[modifier | modifier le wikicode]

Le programme Critical Media Practice25 (CMP), dirigé par Peter Galison et Lucien Castaing-Taylor à Harvard, forme des étudiant·es en sciences26 à travailler la tension entre la réflexion dite universitaire et la réalisation d’éléments graphiques, vidéo, sonores, etc. Il montre que les médias audiovisuels ont une relation au monde spécifique que les systèmes de signes exclusivement verbaux27 ne permettent pas de (re)produire. Cette visée s’ancre dans l’interdisciplinarité pour faire en sorte que la recherche puisse aller au-delà de la sphère académique. Partenaire du programme CMP, la revue en ligne SƎNSATE. A Journal for Experiments in Critical Media Practice28 (2010) repose sur des collaborations entre scientifiques et artistes et designers. Selon Galison, le but de cette initiative est de montrer que les sciences sont prises dans un imaginaire social, de la part des scientifiques mêmes, qui vient cloisonner leurs recherches. D’après lui, cette situation s’ancre dans une séparation entre le savoir pur et le savoir pratique, qui va venir différencier une science « pure » et une science « appliquée » – la deuxième étant encore aujourd'hui déconsidérée (on va par exemple faire travailler des ingénieur·euses « de recherche » sous l’égide d’un·e « vrai·e » chercheur·euse). Même si les relations entre sciences et design sont depuis longtemps fréquemment fécondes dans les « sciences appliquées », les enjeux propres à l’esthétique ne sont pas considérés comme « scientifiques » du fait même d'être considérés comme relevant des sciences appliquées.


Plusieurs items de la revue SƎNSATE peuvent se rattacher aux sciences du patrimoine. Le projet Iron Teaching Rocks How to Rust29 (2021) des artistes Julia Yezbick et de Olayami Dabls, par exemple, aborde la notion de « temps mythologique ». Selon le poète Octavio Paz, le temps mythologique (ou poétique) s’oppose au temps chronologique qui s'écoule malgré les expériences individuelles de nos vies. Les roches et pièces d’horlogerie collectées par Dabls collectées par Olayami Dabls s’inscrivent dans des temporalités qui dépassent de loin l'expérience humaine. Mais, une fois filmées et agencées visuellement par Julia Yezbick sous la forme d’un « livre dans un livre » où les agencements textes-images ne répondent plus d’une logique argumentative, les roches de Dabls sont propulsées dans un temps mythologique qui défie la temporalité linéaire propre à la notion de patrimoine.

Construire des réseaux de connaissances[modifier | modifier le wikicode]

Une autre façon d’échapper aux limites des formats « par défaut » propres aux sciences (articles et conférences) est de considérer les technologies numériques, et plus spécifiquement le Web, non pas sous l’angle de la reproduction (numérisation) mais sous l’angle de la production (programmation). Plus précisément, le Web étant inventé au début des années 1990 par Tim Berners Lee comme une façon d’archiver et de relier des connaissances scientifiques éparses, cette promesse est toujours d’actualité. Se faire « relieur·euses » de ses propres recherches grâce aux technologies Web présente un certain nombre d’intérêts (Masure, 2021) :

– Méthodologique : la vision d’ensemble propre au réseau permet de prendre conscience de cohérences et de bifurcations dans les thématiques, auteur·trices et objets analysés, etc.

– Esthétique : les documents mis en ligne peuvent être enrichis a posteriori, notamment avec des métadonnées et autres médias que du texte (images, vidéos, etc.).

– Politique : en se servant du Web comme d’une façon d’« appareiller » leurs travaux, les chercheur·euses en patrimoine montrent que d’autres pratiques du Web que celles du divertissement ou de l’économie sont encore possibles.

Alors que beaucoup d’interfaces de projets en humanités numériques se désintéressent des enjeux formels liés à la consultation des documents (ce qui est d’autant plus paradoxal dans les champs du patrimoine relatifs à l’art), d’autres, au contraire, associent des compétences de design graphique et de design d’interaction pour élaborer des réseaux sémantiques consultables sur le Web. On peut par exemple penser au projet Mapping the Republic of Letters30 (Stanford University, dir. Paula Findlen et Cheryl Smeall, 2013), qui inventorie des réseaux intellectuels allant de l’époque d’Erasmus à celle de Franklin pour étudier leur portée et fonctionnement. La particularité de ce projet est de recourir à des procédés de visualisation interactifs (conçus par les designers Giorgio Caviglia, Valerio Pellegrini et Azzurra Pini) pour étudier « par la vue » ces enjeux. L’interface du projet échappe à l’impasse des codes visuels « par défaut » de logiciels de visualisation comme Gephi, mais fait sens par rapport à l’époque étudiée.


Un autre exemple de réseaux d’information dans le domaine du patrimoine faisant appel à des compétences de design est le projet Otletosphère (projet ANR « HyperOtlet », dir. Bertrand Müller, 2017-2021), qui propose une cartographie relationnelle31 des influences du documentaliste Paul Otlet, et dont le code source a été placé sous licence libre32. Une attention particulière a été portée à la hiérarchie de l’information aux effets de zoom et d’animation.


Dans ces deux exemples, l’interaction joue comme un mode de compréhension et d’argumentation qui ne peut pas être remplacé par du texte. Le processus visant à faire coexister visuellement divers éléments n’est pas compris comme en dehors de la recherche (une restitution), mais recoupe les trois strates évoquées plus haut : méthodologique, esthétique, politique.

Incidence typographique sur la recherche[modifier | modifier le wikicode]

Le dernier axe de travail que nous souhaitons développer dans le cadre de cette contribution est en quelque sorte le revers de celui consistant à investir d’autres médias que le texte pour décloisonner les images scientifiques. Il est en effet possible de dépasser la séculaire opposition forme/contenu si l’on considère le texte au prisme du design, et plus précisément du design typographique. Ce dernier, qui n’a essentiellement à faire qu’à un ensemble des signes déjà existants

Mentionnons également le travail mené à l’Atelier national de recherche en typographie (ANRT Nancy) sous la direction de Thomas Huot-Marchand, où des étudiants en dessin de caractères typographiques se confrontent à des contextes tels que les premières notations du chant, la cartographie, les hiéroglyphes, les inscriptions monétaires, la reconnaissance de caractères, etc.

Conclusion : vers un design des sciences[modifier | modifier le wikicode]

Ces quelques propositions ont pour objectif d’inciter les chercheurs en humanités numériques à s’intéresser davantage, au-delà du design, à des champs connexes tels que les études visuelles, les media & software studies, ou encore l’archéologie des médias. Une telle visée invite également les designers à envisager d’autres contextes de travail que ceux dans lesquels, au risque d’une saturation de l’offre, ils s’inscrivent habituellement. Les humanités numériques pourraient alors devenir un laboratoire critique des mutations de la culture au contact des technologies numériques.

Proposer d’aller vers un design des sciences mais en sortant des rapports hiérarchisant entre les disciplines, au sens de la diagonalisation de Deleuze et Guattari, puisque celle-ci n’annule pas les sciences du design.

La dimension critico-créative que le design apporte aux sciences n’annule pas la dimension critico-discursive que les sciences apportent au design.

[à développer] Par le déni de la dimension esthétique de la recherche, les chercheurs pensent se protéger d’une capitalisation de la recherche et de sa spéculation financière, ce qui au contraire les rends par leur ignorance des enjeux esthétiques de leur recherche d’autant plus pris dans ces problématiques et visibles par la prédation du commerce de la recherche, comme nous l’avons expliqué dans une précédente recherche (Masure & Saint-Jevin, 2018).


1Ces codes visuels sont inspirés du travail du photographe photographe allemand Karl Blossfeldt. Représentant du mouvement de la « Nouvelle Objectivité » (1918–1933), il est connu pour son inventaire des formes et des structures végétales fondamentales.

2On peut retrouver des archives de ce travail à l’adresse suivante : https://malepregnancy.com/archives/2001/ultrasound.shtml

3Un des plus célèbres est celui de « l’affaire Sokal », en 1996, où un physicien réputé publie dans la revue Social Text un article qui se révélera être un canular. Même si Social Text ne fonctionne pas en peer review, d’autres exemples montrent que ce mécanisme recèle aussi des failles.

4Les évaluations sont consultables à cette adresse : http://sdiarticle4.com/review-history/60013

5Si la revue Asian Journal of Medecine and Health ne demande pas de frais de publications, elle oblige les auteur·trices à acheter au moins une version PDF du numéro.

6Robert K. Merton, « The Normative structure of Science » [1942], dans : The Sociology of Science: Theoretical and Empirical Investigations, The University of Chicago Press, 1973, p. 268–269.

7Michel Dubois, Introduction à la sociologie des sciences, Paris, PUF, 1999.

8Bruno Latour, Petites leçons de sociologie des sciences, Paris, La Découverte, 2007.

9Jean-Pierre Cléro, Essai de psychologie des mathématiques, Paris, Ellipse, 2009.

10Bruno Latour, L’espoir de Pandore. Pour une version réaliste de l’activité scientifique, Paris, La Découverte, 2007.

11Anthony Masure, « Les dessous du code : le commentaire comme espace de liberté ? », compte-rendu de la conférence de Joanna Pomian aux Rencontres de Lure 2014, Lurs, Après\Avant, no 3, mai 2015, p. 42-44, http://www.anthonymasure.com/articles/2015-05-joanna-pomian-dessous-code

12Jean-Marie Guillouët, Caroline A. Jones, Pierre-Michel Menger, Séverine Sofio, « Enquête sur l’atelier : histoire, fonctions, transformations », Perspective, no 1, 2014, https://doi.org/10.4000/perspective.4314

13Thierry de Duve, Au nom de l’art. Pour une archéologie de la modernité. Paris, Minuit, 1989.

14Eduardo Kac, « Aspects de l’esthétique communicationnelle » [1992], trad. de l’anglais par Marie-Hélène Dumas, dans : Annick Bureaud, Nathalie Magnan (dir.), Connexions : art, réseaux, media, Paris, Ensba, 2002, http://archive.olats.org/pionniers/pp/moholy/tableaux_telephoniques.php

15Marc Jimenez (2016), Art et technosciences. Bioart et neuroesthétique, Paris : Klincksieck, pp. 25-45 et Annick Bureaud (2002). Bio(techno)logical Art, Arts press, 276 : 37-54.

16Daniel López del Rincón, Bioarte. Arte y vida en la era de la biotechnologia, Madrid, Akal, 2015, p. 25–26.

17Alexandre Saint-Jevin, « A Psychoanalytic Approach to Genetic Art: the Example of Eduardo Kac and TC&A », Psyart, no 23, 2019, https://www.researchgate.net/publication/343431772

18Ibid.

19Laboratoire Argentin de Bioart (BIOLAB), https://multimedia.maimonides.edu/biolab

20Oron Catts, Ionat Zurr, Victimless Leather, The tissue culture & art project, 2004, https://tcaproject.net/portfolio/victimless-leather/

21James King, Dressing the Meat of Tomorrow [Londres, Royal College of Art, Design Interactions Department], MoMA.org, 2006, https://www.moma.org/collection/works/110244

22« The type of debate that this shift from the abstract world of labs and galleries to an imaginary commercial context generates, engages imaginations in very different ways from art and science. »

Anthony Dunne (2007). Food for Thought, Design Week, 13 septembre 2007.

https://www.designweek.co.uk/issues/13-september-2007/food-for-thought-2/

23« [Le mouvement De Stijl et Le Corbusier manifestent] une volonté de produire des œuvres d’art et de design fondées sur l’objectivité et la rationalité, c’est-à-dire sur les valeurs de la science. » Notre traduction.

24Sur la distinction entre « allure » et « aspect », voir : Huyghe, 2006.

25Site Web du projet de recherche Critical Media Practice : http://cmp.gsas.harvard.edu/about#program

26Anthropologie, sociologie, psychologie, architecture, littérature, ingénierie, médecine, biologie, etc.

27Si des podcasts (format audio) peuvent atteindre un public élargi, ces derniers restent dans le domaine du verbal.

28Site Web de la revue SƎNSATE : https://sensatejournal.com

29https://sensatejournal.com/howtorust

30http://republicofletters.stanford.edu

31https://hyperotlet.huma-num.fr/otletosphere

32https://github.com/hyperotlet/otletosphere


Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

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Proposition initiale


Tout comme l’emploi des technologies numériques questionne la notion de patrimoine et redéfinit son périmètre ainsi que les pratiques de patrimonialisation, les champs de l’esthétique et du design ont également été profondément transformés par ces technologies. Mais ces rapprochements, souvent focalisés sur les dimensions visuelles ou ergonomiques des interfaces ou encore sur les interactions de l’utilisateur avec ces interfaces, ne sont que trop rarement questionnés. Or le design, tel que Nicolas Thély, Anne-Lyse Renon (2016), Anthony Masure (2017) proposent de l’aborder a moins affaire à des techniques comprises comme des « moyens » qu’à des « façons de faire » oeuvrant à diversifier ce qui semble s’imposer ou à faire norme ou encore à permettre une démarche réflexive et critique tout au long de la mise en oeuvre des projets en humanités numériques, dont les projets de numérisation du patrimoine font partie.

Le format n’est pas envisagé ici seulement comme un simple véhicule, un ensemble de dimensions ou de normes techniques : il s’agit de le considérer en tant que cadre opératoire, matrice ou encore médiateur. Alors que les développements technologiques conditionnent la portée stratégique et politique des formats d’encodage et ainsi de circulation et d’accès aux patrimoines numérisés, des théoriciens (philosophes, informaticiens, sociologues, historiens, etc.) mais aussi des artistes tentent de décrypter en quoi le format - question sous-jacente, souvent négligée - ouvre une perspective analytique et critique propre à rendre compte des conditions de production et de diffusion des artefacts numériques. En explorant ou en détournant les standards, en traçant les données, en décortiquant les langages, ou encore en affirmant une esthétique de l’image pauvre (Hito Steyrel), “en connectant des champs hétérogènes, redimensionnant des espaces matériels et subjectifs, la manipulation des formats est susceptible de produire des expériences théoriques et pratiques inédites”.

Exemples/cas pratiques:

● préservation à long terme : la numérisation doit se faire directement sous deux formats : valorisation (par exemple pdf, jpeg) et conservation (par exemple tiff, jpeg2000). Qui plus est, une infrastructure de préservation à long terme basée sur la norme OAIS 2 devrait idéalement être mise en place : en effet, il ne peut être envisageable pour un pouvoir public responsable de recommencer les opérations de numérisation tous les dix ans ;

● ouverture et interopérabilité : le choix par les institutions des formats, modèles et applications doit favoriser l’interopérabilité des métadonnées de manière à faciliter la mise en commun de ressources et la recherche croisée sur plusieurs bases de données ;

Par exemple, Resource Description Framework (RDF) est un format, un modèle de graphe destiné à décrire de façon formelle les ressources Web et leurs métadonnées, de façon à permettre le traitement automatique de telles descriptions. Développé par le W3C, RDF est le langage de base du Web sémantique. L’une des syntaxes (ou sérialisations) de ce langage est RDF/XML. RDF, c’est un moyen d’exprimer des relations, décrites sous forme de graphe. Chaque noeud du graphe est une ressource ou une valeur. Et chaque noeud est relié à un autre par un arc « nommé ». Un document structuré en RDF est un ensemble de triplets. Un triplet RDF est une association : ( sujet , prédicat , objet ).

Pistes de réflexion[modifier | modifier le wikicode]

● Analyse critique des raisons pour lesquelles on choisit les formats, question du formatage (bas et haut niveau): : interopérabilité, pérennité, formats ouverts et propriétaires,

● Choix des formats en fonction des objets originaux, formats propriétaires, pérennité, vie et mort des formats (histoire du pdf), format ouvert, fermé, propriétaire, normalisé, conteneur.

● Puissance normative/formative des formats (Olivier Quintyn) : format(s) pour l’archivage, format(s) pour la diffusion, format(s) pour l'extraction des métadonnées.

● Comment choisit-on un format ? Formats pauvres (Hito Steyerl), precarious aesthetics

● Compression : pertes et gains ?

● Possibilités de traitement en fonction des formats adoptés.

● Types, sous-types

● Traçabilités des données ( http://udpn.fr/spip.php?article217 )


Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

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