Introduction

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Introduction[modifier | modifier le wikicode]

Du patrimoine aux patrimoines[modifier | modifier le wikicode]

“Civilization is the accumulation of the traditions and culture of a  : their ability to express themselves in a variety of ways — in dance, music, art, law, religion, the telling of stories, the writing of books, and so on” (Fred Plain) [1] On accumule dans les musées, les bibliothèques, les cinémathèques, les diverses institutions culturelles, les entreprises ou même dans les familles, de plus en plus d’objets ou de documents que leurs propriétaires considèrent comme importants et voudraient réutiliser, partager avec leurs contemporains, transmettre aux futures générations. Par là-même, ces biens se voient attribuer une valeur, et sont qualifiés de patrimoniaux. Cette notion de “patrimoine”, qui se généralise et se transforme, est aujourd’hui remise en question sous plusieurs angles. On relève ainsi, dans ce terme, une référence contestable à la transmission patriarcale (on a même utilisé, pour y faire pièce, le terme de “matrimoine”[2], ou une fâcheuse confusion avec des formes de capital moins symboliques, financier par exemple [3].. Certains voient aussi, derrière cette notion, le risque de figer la culture en privilégiant les canons du passé, au détriment de la production contemporaine. Mais, surtout, on insiste sur la grande diversité patrimoniale : patrimoine historique, culturel, artistique, patrimoine scientifique et technique, patrimoine industriel, patrimoine artisanal, patrimoine d’une entreprise, patrimoine familial, national, patrimoine naturel, géologique, voire génétique, patrimoine religieux, patrimoine nativement numérique, patrimoine immatériel [4], etc. Dans notre époque d’accumulation, tout semble pouvoir faire patrimoine, avec le risque d’“inflation patrimoniale” que cela comporte [5].

Numériser[modifier | modifier le wikicode]

La numérisation a été perçue comme un moyen de satisfaire cette boulimie patrimoniale, en apportant une solution informatique aux principaux défis de l’accumulation : le stockage, la conservation, la communication et la gestion. La numérisation et le stockage sous forme de fichiers est une opération d’encodage, c’est-à-dire de transformation d’une information analogique en données numériques. Cette opération permet de générer une représentation de l’objet initial : elle est la stratégie massivement adoptée dans les projets de préservation du patrimoine depuis les années 90 [6]. Le produit de cette opération est un ensemble de données numériques constituant un patrimoine numérisé : il faut en effet avoir conscience qu’en numérisant le patrimoine, on crée un nouveau patrimoine, objet à son tour de conservation, de transmission, de valorisation.

Usages et pratiques[modifier | modifier le wikicode]

L’enjeu de la présente recherche est d’étudier la numérisation des patrimoines sous l’angle des usages, de penser ce vaste travail de fond ̶ celui de la conservation du passé, dicté par un devoir de transmission ̶ dans la perspective des usagers (du lecteur, du visiteur, du spectateur, de l’utilisateur) plutôt que du point de vue exclusif du concepteur (conservateur, archiviste, chercheur, informaticien, médiateur, etc.). Notre hypothèse de départ présume que la numérisation crée de nouveaux usages, qu’elle génère des représentations nouvelles des patrimoines. En nous concentrant sur le patrimoine numérisé, plutôt que sur le patrimoine numérique dans son ensemble, nous nous donnons les moyens de comparer les usages d’un même objet patrimonial, dans son existence analogique initiale et dans ses instances numériques. Nous nous assignons, ce faisant, des objectifs opérationnels et nous attendons des résultats pratiques de cette étude. Si la question des usages a malheureusement souvent été tardive, parce qu’on ne se l’est posée qu’une fois la numérisation terminée, on sait aujourd’hui qu’elle doit être pensée dès le projet de numérisation. Envisager la numérisation en termes d’usages revient donc à proposer une épistémologie et une méthodologie de la numérisation patrimoniale. Un autre ajustement notionnel, développé ici, sera celui qui articule la notion d’“usages” avec celle de “pratiques”. Penser exclusivement en termes d’usages a en effet l’inconvénient de conserver la dissymétrie traditionnelle entre ceux qui possèdent et transmettent les biens patrimoniaux et ceux qui ne peuvent que profiter de ce que l’on veut bien mettre à leur disposition. Cette distinction, si elle est pertinente pour les objets analogiques, est remise en question par la reproductibilité numérique. Parler de “pratiques” permet de désigner sous le même vocable les activités des producteurs de données et celles de ceux qui les utilisent, mais aussi les transforment, les stockent et les diffusent à leur tour. Enfin, l’étude des “pratiques” diffère de celle des “usages” en ceci que les usages sont référés à l’appropriation d’une ressource particulière, dont on étudie, en bout de chaîne, les modalités (étude de fréquentation d’un musée, emprunts d’une bibliothèque, statistiques d’un site Web, etc.). L’étude des pratiques concerne toutes les activités d’un individu, d’un groupe, d’une communauté, resituant ainsi l’usage (prévu ou imprévu) d’une ressource particulière dans l’ensemble des interactions entretenues avec l’ensemble des ressources disponibles.

Présentation de la recherche/ouvrage[modifier | modifier le wikicode]

La présente étude est organisée en trois parties, qui décrivent et analysent les différentes facettes du processus de numérisation du patrimoine et les régimes de patrimonialisation à travers le prisme des usages et des pratiques. On abordera ainsi, successivement, c’est-à-dire avant, pendant et après la numérisation, les questions posées par la numérisation des patrimoines : pourquoi ? comment ? et pour qui ? La première partie est consacrée aux choix à effectuer en amont de la création d’un objet numérisé. Quels sont les objectifs des promoteurs d’une numérisation ? Comment anticiper les usages et les pratiques autour de ce nouvel objet ? Quelles sont les conséquences à la fois individuelles et collectives, en termes organisationnels, juridiques et économiques, et plus généralement institutionnelles, d’une telle démarche ? Dans un second temps, est posée la question des procédures intellectuelles et matérielles qui accompagnent les projets de numérisation du patrimoine. En considérant autant les gains que les pertes, il s’agit d’examiner ce que le passage de l’analogique au numérique entraîne comme transformations dans notre rapport spatio-temporel au patrimoine, notamment d’un point de vue expérientiel. Se promener au milieu des ruines antiques à Athènes n’est pas la même chose que de le faire avec un casque 3D, quelle que soit la qualité de la représentation. C’est ici la dimension auratique qui doit être prise en ligne de compte, l’espace physique étant souvent sacralisé, ritualisé. Ces précautions prises, il nous faudra identifier les nombreuses questions auxquelles sont confrontés tous ceux qui entreprennent une numérisation : Quelles méthodologies ? Quelles normes ? Quels outils : quels logiciels, quels matériels ? Quelles modélisations, quelles méthodes de visualisation, d’éditorialisation des données ? Mais aussi quel rôle le design peut-il jouer pour rendre accessibles et intelligibles, pour permettre une fréquentation des patrimoines numérisés et plus généralement pour proposer une critique des outils, des méthodes et des dispositifs créés et utilisés ? La troisième partie propose de clarifier la distinction entre usages et pratiques des patrimoines numérisés. Il s’agit alors de développer une approche comparative des études d’usages et des études de pratiques dans le cadre des dispositifs numériques. Il conviendra ensuite d’examiner les pratiques, individuelles et collectives, d’appropriation, de détournement, de redocumentarisation comme autant de gestes de patrimonialisation à l’œuvre dans tous les champs disciplinaires (artistique, scientifique, historique, pédagogique, etc.).

  1. Cité par Tom Flanagan, First Nations? Second Thoughts , MQUP, McGill-Queen's Press - MQUP, 2000, p. 27.
  2. Voir Ellen Hertz, “Le matrimoine”, in Le musée cannibale , textes réunis et éd. par Marc-Olivier Gonseth, Jacques Hainard, Roland Kaehr. Neuchâtel : Musée d’Ethnographie, 2002, p. 153-168)
  3. Voir, sur ces questions, B ENHAMOU F., Économie du patrimoine culturel . La Découverte, 2015, 103 p., ISBN
    978-2-7071-8935-6
  4. En octobre 2003, le patrimoine numérique est reconnu par une Charte de l’Unesco qui met dans un même ensemble, tout en les distinguant, patrimoine numérisé et patrimoine nativement numérique (“Born-Digital Heritage” en anglais)
  5. Françoise Benhamou, op. cit.
  6. http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Innovation-numerique/Numerisation2/Historique-de-la-numerisation-en-France