III-A-2

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A - Usages et pratiques des patrimoines numérisés : une approche comparative[modifier | modifier le wikicode]

Co-construction des patrimoines numérisés : articulation des pratiques individuelles et collectives

Marta Severo, Dicen-IdF, Université Paris Nanterre


1. Introduction[modifier | modifier le wikicode]

La diffusion des technologies numériques n’a pas eu simplement comme effet la numérisation du patrimoine, mais aussi la complexification de cet objet. Nous devons désormais parler des « patrimoines numérisés » au pluriel pour souligner la variété de formes que le patrimoine peut prendre dans les environnements numériques. Cette variété est d’abord liée à la diversité d’acteurs qui peuvent intervenir et s’exprimer dans ce contexte.

Alors que le patrimoine numérique personnel, familial ne cesse de croître en volume et en diversité, de nouvelles pratiques de conservation, de diffusion mais aussi de réappropriation des traces numériques (Bourdeloie & Chevret-Castellani, 2019) se développent prenant appui sur des manières de faire très hétérogènes. Elles n’en sont pas moins formatées par les outils et plateformes disponibles sur le marché dans un environnement numérique toujours plus présent dans la vie quotidienne, personnelle et professionnelle. Parallèlement, la numérisation du patrimoine commun et la mise en ligne de nombreuses collections numérisées, de vastes jeux de données ont ouvert la voie à de nouvelles formes d’interaction et de médiation entre institutions et publics (Moirez 2017 ; Severo 2018), de nouvelles modalités de collaborations entre particuliers, professionnels et chercheurs ainsi que divers mouvements contributifs dont Wikipédia et aujourd’hui Wikidata en tant que communs numériques sont emblématiques. Dématérialisation des sites, applications offertes dans les musées, plateformes de streaming et visionnage en ligne encouragent de plus en plus de nouvelles pratiques individuelles autour de patrimoines numérisés.

A l’inverse, le développement de pratiques de partage de l’expérience donne une dimension collective à la consommation culturelle. Le crowdsourcing, les forums, les communautés diverses du Web, alliant rediffusion, agrégation de contenus, mashup, détournements, reformatage impliquent des réseaux sociaux de grande taille, sur des modèles très éloignés de la sociabilité traditionnelle des lieux culturels (bibliothèques, musées, cinémas, etc.). Ces nouveaux espaces numériques offrent également des opportunités inédites de « démocratisation des compétences » (Flichy, 2014) qui peuvent avoir des effets significatifs sur les dynamiques de construction et diffusion des connaissances en créant de communautés de pratiques (Beaudouin, 2019) qui échangent autour de leurs objets culturels numérisés et partagés.

En effet, le terrain numérique propose de nouvelles possibilités d’auto-apprentissage qui permettent aux amateurs d’acquérir les savoirs et savoir-faire au même niveau que les experts. Si on sait utiliser un ordinateur et se connecter à Internet, on pourra facilement produire de la musique et la diffuser sur MySpace. Si on sait numériser des documents, on pourra également mettre en ligne des objets patrimoniaux ou commenter ceux partagés par d’autres. Par conséquent, les capitaux culturel et social perdent de l’importance face à la simple compétence informatique, potentiellement accessible à tous. Le numérique met à disposition des dispositifs innovants de construction de connaissance où professionnels et non-professionnels peuvent participer au même titre. Les contenus des non-professionnels et des professionnels se mélangent sur les sites web, les blogs et les forums et plus récemment sur les médias sociaux et les plateformes contributives.

Ces phénomènes ont touché profondément la gestion des patrimoines, de leur reconnaissance à leur conservation et diffusion. Aujourd’hui les technologies numériques permettent non seulement de créer des dispositifs qui aident les processus de patrimonialisation, mais également elles interviennent dans la phase de documentation des patrimoines en facilitant la gestion des informations nécessaires pour une bonne conservation (Bachimont 2017). Ces différentes pratiques, individuelles et collectives, amateures et professionnelles, se mélangent et interfèrent en produisant des patrimoines numérisés qui circulent sur le web et qui contribuent aux représentations que les publics se construisent de ces patrimoines.

Dans ce chapitre, nous voulons approfondir ce phénomène en identifiant deux tendances principales. La première concerne la production institutionnelle de patrimoines numérisés, c’est à dire les actions que les institutions mettent en place à travers de dispositifs numériques qui portent à la production des patrimoines numérisés. Dans ce contexte, nous pouvons identifier deux sous-phénomènes. D’une part, les institutions procèdent à la mise en ligne de leurs patrimoines pour en faciliter l’accès. D’autre part, certaines de ces institutions profitent de cette mise à disposition numérique pour solliciter la participation de publics dans de tâches de construction de connaissances liées aux objets patrimoniaux.

La deuxième tendance concerne la production spontanée des contenus numériques liées aux patrimoines culturels qui des individus, généralement appelés amateurs, peuvent réaliser dans les nouveaux espaces d’expression mis à disposition par le Web 2.0. Cette catégorie regroupe des blogs ou sites web individuels ainsi que la production de contenus dans espaces collectifs, comme des forums ou les médias sociaux. Dans ce deuxième cas, nous assistons à des pratiques individuelles très variées, alimentées par des motivations personnelles également très variées. Ces deux tendances de la numérisation des patrimoines sont-elles contradictoires ? Sont-elles une simple instance d’un phénomène plus général sur le Web ou le domaine culturel a-t-il des spécificités à cet égard ?

En effet, cette distinction est évidemment artificielle. Les patrimoines numérisés, produits dans les différents espaces circulent sur le web en créant des lieux de savoirs partagés mais instables (Weltevrede et Borra, 2016). D’ailleurs, les mêmes utilisateurs peuvent intervenir dans plusieurs environnements numériques en produisant différents types de contenus autour d’un même objet patrimonial. Ces productions de traces dispersées dans les espaces participatifs ou contributifs (Puig, 2014) peuvent également générer des controverses ou des contestations entre différentes communautés de pratiques. Ce chapitre vise à approfondir ces circulations des patrimoines numérisés entre espaces numériques institutionnels et non institutionnels et à analyser l’impact de la coexistence de ces traces multiples, individuelles et collectives, sur les processus de patrimonialisation. En conclusion, nous nous interrogerons sur la gestion et sur l’archive de ces traces qui doivent être conçues comme un bien commun.

2. Le monde des généalogistes : entre histoire familiale et mission collective[modifier | modifier le wikicode]

L’analyse présentée dans ce chapitre s’appuie sur un cas d’études tiré du monde de la généalogie. Les généalogistes, c’est-à-dire des personnes qui pratiquent, pendant leur temps libre, l’étude des familles, constituent un bon exemple des cohabitations de pratiques individuelles et collectives dans gestion de leur passion. Ces amateurs sont animés par une motivation profondément individuelle, mais en même temps, ils savent très bien que pour reconstruire leur histoire individuelle, ils ont besoin de partager les informations et de collaborer avec les autres généalogistes ainsi qu’avec les archivistes (Mergnac, 2003). Ces amateurs numériques ont souvent un blog ou une page personnelle où ils diffusent leurs recherches pour montrer leurs compétence et expertise. Parallèlement, ils interviennent dans des espaces numériques qui fonctionnent comme des communautés de pratiques : forums ou wikis, plateformes contributives des archives ou plateformes commerciales, comme Geneanet. Le résultat est que, paradoxalement, leur désir d’affirmation individuelle permet de construire un bien commun, alors que cela ne faisait pas partie de leurs objectifs prioritaires.

Il faut savoir que les généalogistes constituent une des communautés les plus actives dans la production de patrimoines numérisés tant dans le cadre de pratiques individuelles que des pratiques collectives. Généralement motivés par l’envie de découvrir leurs origines, les généalogistes se dédient intensément à la recherche d’archives pour trouver des traces de leurs ancêtres. Une grande partie de leur activité consiste alors dans la numérisation des lettres, photos, cartes postales ou autres types de document qui puissent permettre de retrouver les origines de leur famille. Généralement, une fois reconstruit l’histoire de leurs parents les plus proches, leur regard s’élargit à d’autres familles de la même ville ou avec des parcours similaires ou avec d’autres types d’affinité.

Ce qui est intéressant dans le travail du généalogiste amateur est le fait que son activité de production et documentation de patrimoines numérisés articule strictement pratiques individuelles et collectives. Pour ce qui concerne les pratiques individuelles, les généalogistes souvent créent des sites web ou blogs individuels où ils publient les résultats de leurs recherches. Ils peuvent également s’appuyer sur des plateformes payantes comme Geneanet (www.geneanet.fr) ou Myheritage (www.myheritage.com) pour reconstruire leur arbre généalogique ou pour trouver et échanger documents d’archive. Dans le cadre de ces plateformes, ils peuvent charger de documents personnels numérisés en espérant de trouver en échange d’autres informations et d’autres documents qui leurs permettent de reconstruire leur famille.

Ces pratiques individuelles se relient rapidement avec des pratiques collectives. Aujourd’hui, de nombreuses archives départementales mais aussi les Archives Nationales comptent sur l’aide précieux des généalogistes pour numériser et indexer des larges quantités de documents. Un exemple éclatant est constitué par les nombreuses collectes réalisées en relation à la Première Guerre Mondiale. A partir de la Grande Collecte organisée par les Archives Nationales jusqu’à des projets locaux comme « Adopter un poilu ! » (organisé par les Archives départementales des Yvelines), ces initiatives visent à fédérer des contributeurs intéressés par la mission sociale de conserver une mémoire collective de la France. Ces utilisateurs sont invités à réaliser des actions qui sont très similaires à ceux qui sont possibles sur un site de généalogie : numérisation et partage de documents, indexation et annotation, etc. Cependant, dans ces plateformes institutionnelles, les patrimoines numérisés ne sont plus représentatifs seulement de de mémoires familiales et récits individuels, mais ils deviennent les témoignes de l’histoire d’un pays, ils se transforment en un patrimoine collectif. Dans la suite de ce chapitre, nous voulons étudier l’articulation entre ces pratiques collectives individuelles et collectives. Pour ce faire, nous nous appuierons sur le cas de 1 Jour 1 Poilu.

3. De Mémoire des Hommes à 1 Jour 1 Poilu[modifier | modifier le wikicode]

Le cas 1 Jour 1 Poilu est l’histoire de centaines de généalogistes passionnés qui, dans un délai très court, ont pu inventorier et compléter, de manière spontanée et auto-organisée, la quasi-totalité des fiches des soldats « Morts pour la France » (1 400 000) lors de la Première Guerre mondiale sur la plateforme collaborative institutionnelle du ministère des Armées Mémoire des Hommes (www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv). Pour ce faire, ils ont animé un dense réseau d’échanges sur Twitter à travers le hashtag #1J1P ; ils ont également utilisé un groupe et une page Facebook dédiés au projet pour poser leurs questions, partager leurs doutes, transmettre leurs découvertes et leur expertise, mais aussi communiquer avec l’institution. De cette manière, les réseaux sociaux et la plateforme institutionnelle sont devenus un seul environnement de travail qui a rendu possible l’accomplissement inespéré de cette mission.

Pour étudier ce cas d’études, il a été nécessaire de construire une méthodologie adaptée pour étudier les rapports entre les écritures numériques, les acteurs sociaux qui les ont produites et le dispositif qui les héberge et qui en constitue le cadre. Pour ce faire, nous avons combiné l’observation participante de ces différents espaces numériques avec une analyse quali-quantitative des échanges qui y ont eu lieu. D’un point de vue qualitatif, nous avons privilégié une approche sémiotique pour analyser les écritures numériques, les interfaces et autres éléments relevant de l’architexte (Jeanneret & Souchier, 2005). D’un point de vue quantitatif, nous nous sommes appuyés sur indicateurs internes aux espaces numériques, comme le retweet, la mention et le like, en cohérence avec l’approche de Digital Methods (Severo, 2017 ; Rogers, 2017).

L’analyse a pu s’appuyer sur deux corpus très importants :

(i) Un corpus Twitter de 104 612 tweets (dont 58,6 % sont des retweets) contenant le hashtag #1J1P1 qui peut être considéré comme presque complet par rapport aux échanges originaux. Ce corpus va du 17 novembre 2013, jour du premier tweet informel, au 24 mai 2018, jour où la collecte a été arrêtée.

(ii) Pour ce qui concerne Facebook, l’extraction des données de la page a été réalisée grâce à l’application Netvizz. Cette application permet d’extraire les messages (jusqu’à 1000), les réactions et les commentaires. Il a été possible d’extraire 955 messages entre le 4 septembre 2015 et 25 mai 2018. Les données sont anonymisées avant l’extraction. Globalement, ces messages ont reçu plus 27 000 actions d’engagement. La plupart sont des mentions « J’aime », mais les utilisateurs ont réalisé également de nombreux partages et commentaires.

En considérant la brévité de ce texte, nous ne rentrerons pas dans le détail de la contribution dans chaque espace2, mais nous poserons l’accent sur le rôle joué par chaque outil dans la production des pratiques individuelles et collectives. L’analyse se concentrera en particulier sur les formes de production de patrimoines numérisés offertes par chaque espace de manière à montrer la diversité de possibilité d’expression en passant des pratiques personnelles visant construire une mémoire individuelle à des pratiques collectives visant à produire une mémoire partagée (Merzeau, 2017).

4. Production des patrimoines numérisés entre standardisation et liberté d’expression[modifier | modifier le wikicode]

Dix jours après la mise en ligne de l’interface contributive de plateforme Mémoire des hommes, Jean-Michel Gilot3, un bénévole passionné de généalogie et d’histoire militaire, décide de lancer le défi 1 Jour 1 Poilu à travers la création du compte Twitter @1J1Poilu et du hashtag #1J1P. Le défi est résumé dans le tweet suivant : « Défi collaboratif #1J1P 1 Jour = 1 Poilu indexé sur Mémoire des hommes jusqu’au 11 novembre 2018 #1GM #WW1 #Centenaire ».

L’idée à la base du défi est que si au moins 800 personnes indexaient une fiche par jour, le 11 novembre 2018, la base serait complètement retranscrite. Selon les règles du défi, une fois la fiche annotée sur le site institutionnel, il est nécessaire de la publier sur Twitter en intégrant le hashtag #1J1P. Les participants augmentent rapidement, en passant de 40 le premier jour du défi à 1000 en moins d’un an. Dans les mois suivants, Jean-Michel Gilot lance des opérations spéciales pour accroire la participation. Toutes les opérations s’appuient sur le même mécanisme consistant à donner un délai et un objectif d’indexation précis, par exemple de compléter toutes les fiches liées aux étapes du Tour de France. A partir de 2015, de nouveaux espaces sont mis à disposition des amateurs moins à l’aise avec Twitter. Une page Facebook4 du projet est lancée où les règles de participation du défi sont formalisées pour la première fois. Un groupe privé5 est également créé sur Facebook pour donner aux participants un espace d’échange plus opérationnel. Enfin, le site web du projet6, mis en ligne en septembre 2015, a une fonction de vitrine pour les journalistes en publiant des communiqués de presse et les résultats de différentes opérations spéciales. Pour résumer, le défi s’articule principalement autour de trois espaces numériques : la plateforme institutionnelle, Twitter et Facebook. Chaque espace propose une forme de pratique différente, c’est-à-dire une interface et des outils qui permettent à l’amateur de construire de manière originale son style d’écriture numérique autour des patrimoines numérisés.

Pour devenir contributeur de l’espace institutionnel de Mémoire des hommes, il faut s’enregistrer sur le site. Sur cette plateforme de crowdsourcing, Il y a une seule interface contributive où les possibilités de contribution pour les utilisateurs sont très réglées. La fiche d’annotation prévoit des champs précis, dont la plupart, nécessite la sélection d’une valeur entre une série de valeurs prédéfinies, et d’autres, comme « Lieu du décès », sont à édition libre. L’interface ne prévoit aucun champ commentaire pour ajouter des observations libres. L’écriture sur ce site est premièrement une expérience individuelle. Le rapprochement vers la plateforme vient généralement d’une motivation personnelle de découverte ou de vérification de ses propres origines. Cette expérience d’annotation individuelle ne laisse pas de place à l’expression des émotions personnelles. En effet, le formulaire de saisi ne laisse aucune place à l’histoire du poilu ; il ne permet pas, par exemple, de renseigner la raison de la mort (suite à une interdiction de la CNIL) ni des informations sur la famille ou vie personnelle du poilu. Les règles d’écriture sont établies par l’institution qui définit tous les aspects dans le détail : les conditions et modalités d’accès à la plateforme, les champs qui sont ouverts à l’indexation, les valeurs possibles pour remplir un champ, mais aussi le type d’interface et son éditorialisation. À travers tous ces choix (apparemment) techniques, l’institution sélectionne le degré d’expertise des utilisateurs de la plateforme, tant dans le champ de la généalogie et de l’histoire que sur le terrain des compétences informatiques. Une dernière caractéristique de cet espace est sa faible dimension collective et interactive. Les seuls éléments révélant une dimension collective sont le rang d’annotateur et le nombre total des personnes inscrites sur la plateforme.

Les fiches annotées sont interrogeables à travers un moteur de recherche qui, après la fin du défi, a intégré des fonctionnalités pour pouvoir chercher aussi dans les champs retranscrits, par exemple la date du décès. Les résultats de la recherche se présentent sous forme de tableau où les champs déjà présents dans la base avant l’indexation (nom, prénom, date de naissance et département) sont affichés (figure 1). Par exemple, si l’on interroge la base pour connaître tous les soldats morts le 25 septembre 2015 (qui l’indexation a révélé être le jour le plus meurtrier de la guerre plutôt que le 22 août 2014), on obtient un tableau avec 500 lignes (même si les résultats sont plus de 23 000). Pour consulter une fiche annotée, il est nécessaire de cliquer sur l’icône représentant un œil renvoyant à un écran avec, à droite, l’image de la fiche numérisée et, à gauche, un tableau qui résume les champs annotés (figure 2). Ce tableau est constitué d’autant de lignes que d’annotations réalisées. Pour voir l’intégralité du tableau, il est nécessaire d’élargir la colonne en couvrant en partie l’image.

En résumé, l’élément central qui caractérise ce type des patrimoines numérisés est la standardisation de son éditorialisation soit au niveau de la production de l’écriture, à travers un formulaire contraignant, soit au niveau de la consultation de l’écriture, à travers une mise en page tabulaire. Ce format ne sacrifie pas seulement l’expression de l’individualité des contributeurs, qui ne peuvent pas afficher leur identité ni à travers la construction d’un profil ni à travers la personnalisation de l’écriture, mais aussi la manifestation de l’identité des poilus qui sont réduits à une ligne d’un tableau. La pratique individuelle qui a porté à l’enrichissement de la fiche n’est pas valorisée par l’interface. Ce qui émerge est la dimension collective de ces patrimoines qui permettent de construire une mémoire collective numérique où les récits individuels et les histoires familiales ne trouvent pas sa place. Ces patrimoines numérisés servent seulement de documentation pour reconstruire l’histoire de la Nation.


Figure 1. Interface des résultats de la recherche dans la base des fiches des « Morts pour la France » sur Mémoire des hommes.


Figure 2. Écran de consultation d’une fiche annotée de Mémoire des Hommes.

L’espace Twitter est l’espace privilégié du défi, l’espace où ont lieu les pratiques individuelles. Pour les deux premières années, il est même le seul espace du défi. Il est également l’espace où le contributeur peut exprimer son identité et se mettre en relation de manière plus libre et paritaire avec l’institution. Mais il est, surtout, l’espace mémoriel qui devrait permettre la valorisation de la dimension humaine du conflit, ce qui est l’objectif ultime du défi. Chaque participant développe son style d’écriture pour valoriser les patrimoines numérisés. @1J1Poilu structure tous les tweets de la même manière en commençant par le hashtag, suivi de : nom du poilu, âge, métier, domicile, lieu de la mort (et raison du décès) et lien vers la fiche sur MDF. Souvent l’image de la fiche est intégrée avec la photo du poilu ou l’image du document qui a constitué la source d’information.


Figure 3. Tweet dédié à la fiche Georges Caron.

Plusieurs autres utilisateurs publient un tweet pour chaque fiche. Certains ne disent que l’essentiel, en reportant seulement les informations clés de la fiche et le lien vers la fiche sur le site MDH ; d’autres donnent des informations additionnelles sur le poilu, comme la profession ou la raison de la mort. De manière générale, les participants au défi privilégient un format standardisé sur le modèle de la fiche du site institutionnel. Ils choisissent une règle et ils la respectent dans tous les tweets pour montrer leur rigueur et leur expertise. Ce qui change par rapport à l’interface institutionnelle est surtout le contenu parce que les contributeurs de 1 Jour 1 Poilu sont principalement intéressés par le fait de découvrir et partager les détails de la vie de chaque soldat. Pour diffuser le défi, @1J1Poilu affirme « Derrière chaque fiche, un homme… Ne les oublions pas ! ».

Cet aspect mémoriel est accompagné par l’esprit du défi qui souvent prend des directions ludiques et/ou sportives. Les participants au défi s’entraident, mais ils sont également en concurrence. De manière générale, ils ont une connaissance très avancée du sujet, des sources et des méthodes nécessaires à l’indexation. Alors, le tweet devient une manière d’afficher leur compétence, leur identité en tant que généalogistes et d’en obtenir la reconnaissance individuelle qui leur est due. En effet, ceci constitue une deuxième différence par rapport à la plateforme institutionnelle, qui ne laisse aucune place à la manifestation de l’identité du contributeur et à la relation avec les autres. Twitter est enfin le lieu d’échange avec l’institution et notamment le webmestre de Mémoire des hommes qui est aussi l’administrateur du compte Twitter @MDHDefense. Ce compte est employé pour donner des réponses aux contributeurs sur des problèmes techniques. Parallèlement, les contributeurs s’approprient cet outil pour établir un canal direct avec l’institution. Ces échanges, qui se déroulent en dehors du site institutionnel, ont souvent un ton amical et informel.

En bref, sur Twitter, les patrimoines numérisés, sous forme de fiche d’archives ou de portrait de soldat, deviennent un outil pour raconter des récits individuels dans le cadre d’une interaction collective. Ces récits ne concernent pas seulement la vie passée des soldats morts pour la France, mais aussi le ressenti des généalogistes qui participent au défi et qui souhaitent se sentir part d’un projet commun.

L’espace Facebook, qui est composé d’une page et un groupe, est ouvert en septembre 2015 pour répondre aux besoins expressifs d’un public plus large. La page7 est gérée par Jean-Michel Gilot qui est le seul qui a le droit de publier des messages. Le mur est animé par un message par jour reportant la fiche indexée par le compte Twitter @1J1poilu. L’administrateur y publie également des messages concernant les moments clés du défi : étapes de l’indexation (baromètre), sorties médiatiques et posts concernant les opérations spéciales. Par rapport à Twitter, Facebook lui offre des possibilités d’écriture nouvelles. En particulier, il permet la rédaction de textes plus longs par rapport à Twitter, avec une mise en forme plus soignée et variée. Par ailleurs, Facebook est beaucoup moins contraignant quant au type du contenu en permettant d’intégrer facilement des images et vidéos. Par conséquent, Gilot peut employer un ton, un style d’écriture et un type de contenu profondément différents de ceux vus sur Twitter. Ces possibilités techniques offertes par Facebook sont bien adaptées à la dimension émotionnelle que le défi se donne sur cette plateforme. L’objectif est alors de rendre « une forme d’hommage » et non simplement « l’enrichissement du patrimoine archivistique national », comme il l’était sur Mémoire des hommes. Toutes les fiches présentées dans ses posts ont la même structure du type : « #1J1P Le 6 août 1917 Grégoire LEONI 38 ans … meurt de ses blessures à l’hôpital temporaire n°7 de Salonique (Grèce). Originaire de … il était incorporé au sein du …. Fiche Mémoire des hommes transcrite le … http://tinyurl.com/y73meulu … ». Le fait d’avoir plus de caractères à disposition permet au coordinateur de s’attarder sur des détails de la vie du poilu ou de faire des remarques plus personnelles.

La dimension du défi apparaît en mesure minimale sur Facebook. L’écriture sur Facebook émerge comme écriture individuelle autour des patrimoines numérisés plutôt que comme interaction collective. Les messages ne parlent pas du processus d’annotation et des activités liées de recherche d’archives, mais ils présentent directement le contenu des fiches transcrites. La dimension de l’institution est presque absente. La plateforme Mémoire des hommes est mentionnée dans chaque message, mais elle perd son lien avec l’institution et avec la mission patriotique. Elle devient juste le support pour raconter une histoire. Par ailleurs, le webmestre ne participe pas aux interactions sur cette page ni celle-ci est le lieu pour signaler des erreurs ou aborder des questions techniques liées à l’indexation.


Figure 4. Message Facebook dédié à la fiche de Georges Caron.

Par ailleurs, Facebook permet aux autres contributeurs de s’exprimer simplement avec un « j’aime » ou un « je suis triste » ou de manière plus articulée à travers un commentaire. Souvent, ces interventions sont l’occasion de faire passer des émotions ou du vécu personnel qui est plus difficile à transmettre sur Twitter où l’esprit « sportif » et patriotique est prépondérant. Les 955 posts analysés ont reçu globalement plus de 18 000 mentions « j’aime », à une fréquence moyenne de 19 par posts ; ils ont été partagés 3 789 fois (en moyenne 4 fois par post) et ont été commentés 2 285 fois, c’est-à-dire qu’en moyenne chaque post a reçu au moins deux commentaires. Si l’on prend en considération les autres réactions, qui offrent à l’utilisateur la possibilité d’exprimer des émotions plus précises, le bouton « triste » est le plus utilisé (2 701), suivi par « j’adore » (528), les boutons « wouah » (89) et « grrr » (40) étant moins employés, et « haha » (7) et « reconnaissant » (7) presque jamais. De manière générale, ces réactions permettent à l’utilisateur d’établir un lien de solidarité ou de support avec le défi et d’exprimer ses émotions en lien avec les patrimoines numérisés qui constituent le contenu du post.

Pour ce qui concerne les commentaires, la plupart sont des messages de remerciement ou de soutien de la campagne, qui généralement viennent de personnes qui découvrent le défi, mais qui n’y participent pas. Mais il y a aussi quelques contributeurs qui emploient les commentaires pour exprimer leurs émotions et leur vécu personnel. Enfin, nous pouvons mentionner l’usage fait par un utilisateur qui détourne le modèle frontal de la page en publiant sous forme de commentaire (presque chaque jour) l’information concernant la fiche qu’il a indexée. Pour résumer, la page Facebook porte principalement sur les histoires individuelles des soldats en construisant une mémoire partagée à partir des patrimoines numérisés qui va compléter la mémoire collective institutionnelle construite par Mémoire des hommes (Merzeau, 2017).

Le groupe privé Facebook, intitulé « Grande Guerre – Défi #1JP » est cogéré par Jean-Michel Gilot et Fabien Laure, un généalogiste professionnel qui maintient 25 autres groupes similaires. L’objectif de ce groupe, qui rassemble 222 membres à la fin du défi, est de fournir un espace d’expression à tous les participants par rapport à la page Facebook où seulement Jean-Michel Gilot peut publier de messages. Rapidement les fidèles de Twitter intègrent le groupe, en indiquant parfois leur pseudonyme sur l’autre plateforme pour se faire identifier par les camarades. Pour ce petit noyau, le groupe devient les coulisses du défi. Dans un premier temps, les membres profitent de cet espace pour décrire leur parcours individuel d’indexation. Dans un deuxième temps, ils présentent des questions techniques, souvent très pointues. Ces questions peuvent concerner des difficultés à lire le texte d’une fiche, des erreurs que le contributeur ne sait pas comment résoudre (des doublons ou des erreurs orthographiques), mais le plus souvent les messages font référence aux questions des sources. Tous ces messages permettent de mettre l’accent sur le niveau d’expertise des contributeurs et sur les outils employés. Le groupe est également le lieu pour donner des conseils sur la recherche de sources ou pour partager des ressources trouvées.

Si ce groupe se présente superficiellement comme un espace d’amitié et de partage, une analyse plus attentive permet de saisir l’esprit de compétition présent dans la plupart des échanges. Par exemple, les posts sont souvent l’occasion de partager le nombre de fiches annotées par un participant. D’ailleurs, pendant les opérations spéciales, le groupe Facebook permet aux contributeurs qui ne sont pas sur Twitter de partager leur liste de fiches annotées. Aussi le partage d’une question technique est souvent présenté comme un défi pour les autres et comme une occasion de montrer la compétence du participant qui a publié la question. De manière globale, le groupe devient alors un espace pour construire sa notoriété en tant qu’amateur-professionnel par rapport aux autres membres du groupe. En résumé, à la différence de l’espace Twitter, l’espace du groupe Facebook se qualifie comme le lieu exclusif de l’amateur duquel l’institution est complètement absente et où le débat reste un échange entre pairs.

5. Conclusion : interactions entre pratiques individuelles et collectives autour des patrimoines numérisés[modifier | modifier le wikicode]

Comme nous l’avons montré, le défi 1 Jour 1 Poilu se joue dans trois espaces principaux. Chaque espace a ses règles d’écriture et ses formats, ses acteurs, son système d’autorité et son organisation, et aussi sa fonction mémorielle. La plateforme Mémoire des hommes constitue l’espace institutionnel, où l’écriture des patrimoines numérisés est normée par l’institution selon un format standardisé défini par l’interface même de la plateforme. Cet espace est alimenté par des pratiques individuelles qui servent pour contribuer à une mission collective et qui restent très impersonnelles. La mémoire qui en est produite est une mémoire collective patrimoniale qui ne laisse aucune place au partage d’émotions, de souvenirs et de signification liés aux fiches retranscrites.

Twitter est l’espace du défi dans sa dimension sportive et collective. Ici, l’écriture des patrimoines numérisés est réglée en même temps par l’amateur qui s’impose des règles et par la plateforme qui impose des contraintes comme la longueur du message et les modalités d’interaction entre utilisateurs. Même si cet espace est mis en avant comme un lieu d’hommage aux poilus, ce qui émerge avec plus de force est la figure de l’amateur avec sa compétence technique, son expertise et son énergie. Si les possibilités d’expression et de retranscription de la fiche sont beaucoup plus libres que sur Mémoire des hommes, en général les contributeurs décident d’adopter un style sec et télégraphique qui imite le style de la fiche institutionnelle. En bref, même si Twitter offre un cadre plus libre à l’amateur, la mission mémorielle se concrétise dans une compétition sportive où la manifestation de l’expertise et de la compétence prévaut sur la manifestation de ses émotions et du vécu personnel. Cette espace laisse la place aux pratiques et aux expressions individuelles, mais elles sont profondément insérées et motivées par l’interaction collective.

Facebook, à travers la page et le groupe, est l’espace de l’amateur, où l’institution n’intervient pas. Avec des modalités différentes, ces deux contextes valorisent la dimension humaine du conflit à travers un style d’écriture des patrimoines numérisés plus libre qui laisse la place aux émotions et au vécu personnel des contributeurs. Par ailleurs, Facebook (surtout le groupe) ne sacrifie pas l’identité des contributeurs qui peuvent accroître leur notoriété à travers la publication de contenus. Chaque contributeur décide du style et du contenu de son message. Cependant, cette liberté et cette absence de norme créent une fracture nette entre cet espace et celui de l’institution, défini par Mémoire des hommes.

En conclusion, ces trois espaces, avec leurs relations et interactions entre pratiques individuelles et collectives, constituent une « plateforme contributive culturelle » (Severo, 2021), une plateforme entre amateur et institution. Le cas de 1 Jour 1 Poilu nous montre un groupe de généalogistes amateurs qui étaient à la recherche d’un défi pour montrer leur compétence autour des patrimoines numérisés et ont trouvé dans la plateforme institutionnelle un espace où exprimer leur passion et transformer leur pratique individuelle dans une aventure collective. Cependant, pour donner réussite à cette mission, ces généalogistes ont eu également besoin d’espaces externes à la plateforme institutionnelle qui s’adaptaient mieux à leur désir expressif et à leur besoin de rentrer dans une dynamique collective. Pendant ces quatre ans, amateurs et professionnels de l’institution ont circulé entre ces espaces numériques en créant des flux d’informations entre un espace et l’autre et des interactions entre objectifs individuels et collectifs. De cette manière, les réseaux sociaux et la plateforme institutionnelle sont devenus un seul environnement de travail, une plateforme contributive culturelle, qui a rendu possible la valorisation de ces patrimoines numérisés dans le cadre d’une mémoire partagée.

Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

Bachimont, B. (2017). Patrimoine et numérique : technique et politique de la mémoire, INA.

Beaudouin, V. (2019). Comment s’ élabore la mémoire collective sur le web?. Reseaux, (2), 141-169.

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Flichy, P. (2014). Le Sacre de l'amateur. Sociologie des passions ordinaires à l'ère numérique: Sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique. Paris, Le Seuil.

Hennion, A. (2013). D’une sociologie de la médiation à une pragmatique des attachements. SociologieS. Url : http://journals.openedition.org/sociologies/4353

Jeanneret, Y., Souchier, E. (2005), « L’énonciation éditoriale dans les écrits d’écran », Communication & langages, 145(1), 3-15.

Mergnac Marie-Odile, 2003, La généalogie. Une passion française, Autrement, Paris.

Merzeau, L. (2017). Mémoire partagée. In Dictionnaire des biens communs, Cornu, M. Orsi, F., Rochfeld, J., (Ed.), Presses universitaires de France, Paris.

Moirez, P. (2017). Construire et enrichir ensemble les savoirs : crowdsourcing et patrimoine numérisé. Éditions du Cercle de la Librairie. Retrieved from https://www.cairn.info/communs-du-savoir-et-bibliotheques--9782765415305-page- 127.htm

Puig, Vincent (2013), « Contribuer n’est pas collaborer : un focus sur les dispositifs d’annotation de documents audiovisuels » in Dufrène, Bernadette, Ihadjadène, Madjid, Bruckmann, David (Dir.) Numérisation du patrimoine. Quelles médiations ? Quels accès ? Quelles cultures ? Paris, Hermann, p. 177-190.

Rogers, R. (2017). Digital methods for cross-platform analysis. The SAGE handbook of social media, 91-110.

Severo, M. (2018), Plateformes contributives patrimoniales. Entre institution et amateur, Habilitation à diriger des recherches, Université de Lille.

Severo, M. (2017). Suivre le médium numérique: les méthodes numériques en SIC. Revue française des sciences de l’information et de la communication, (10).

Weltevrede, E. et Borra, E. (2016). Platform affordances and data practices: The value of dispute on Wikipedia. Big Data & Society, p.1-16.

NOTES

1 Pour cette analyse, a également été fondamentale la consultation du corpus Twitter de l’Inathèque, la base du dépôt légal de l’INA qui a permis de réaliser facilement et rapidement une étude exploratoire d’un sous-corpus de tweets lié à 1 Jour 1 Poilu présent dans la base.

2 Pour consulter l’analyse intégrale voir Severo, M., Plateformes contributives patrimoniales. Entre institution et amateur, Habilitation à diriger des recherche, Université de Lille, 2018.

3 Un entretien a été réalisé le premier juin 2018.

4 Le 7 juin 2018, à la fin du défi, la page a 1 670 mentions « J’aime ». Voir https://www.facebook.com/1jour1poilu/.

5 Ce groupe fédère le 7 juin 2018, à la fin du défi, 222 personnes et est administré par Fabien Larue, un généalogiste professionnel participant au défi.

6 http://www.1jour1poilu.com/.

7 https://www.facebook.com/1jour1poilu/. En juin 2018, la page Facebook 1 Jour 1 Poilu a 1 670 mentions « j’aime » et contient un millier de messages avec plus 27 000 actions d’engagement (commentaires ou réactions



Proposition initiale du cahier des charges

2. Articulation des pratiques individuelles et collectives des patrimoines numérisés

Alors que le patrimoine numérique personnel, familial ne cesse de croître en volume et en diversité, de nouvelles pratiques de conservation, de diffusion mais aussi de réappropriation des traces numériques (Bourdeloie, 2017) se développent prenant appui sur des manières de faire très hétérogènes. Elles n’en sont pas moins formatées par les outils et plateformes disponibles sur le marché dans un environnement numérique toujours plus présent dans la vie quotidienne, personnelle et professionnelle. Parallèlement, la numérisation du patrimoine commun et la mise en ligne de nombreuses collections numérisées, de vastes jeux de données ont ouvert la voie à de nouvelles formes d’interaction et de médiation entre institutions et publics (Moirez), de nouvelles modalités de collaborations entre particuliers, professionnels et chercheurs ainsi que diverses mouvements contributifs dont Wikipédia et aujourd’hui Wikidata en tant que communs numériques sont emblématiques. Dématérialisation des sites, applications offertes dans les musées, plateformes de streaming et visionnage en ligne encouragent des pratiques individuelles, cette mutation a des implications sociologiques et politiques profondes (Susan Sontag et Judith Butler sur la foule et l’espace -entre les corps- et Julian Hanich sur le “regarder ensemble”).

A l’inverse, le développement de pratiques de partage de l’expérience donne une dimension collective à la consommation culturelle. Le crowdsourcing, les forums, les communautés diverses du Web, alliant rediffusion, agrégation de contenus, mashup , détournements, reformatage impliquent des réseaux sociaux de grande taille, sur des modèles très éloignés de la sociabilité traditionnelle des lieux culturels (bibliothèques, musées, cinémas, etc.).

Ces deux effets de la numérisation des patrimoines sont-ils contradictoires ? Sont-ils une simple instance d’un phénomène plus général sur le Web ou le domaine culturel a-t-il des spécificités à cet égard ?

Pistes de réflexion

● Différencier la foule/the crowd et le nuage/the swarm

● Individualisation de l’expérience esthétique

● Existe-t-il des types de consommateurs culturels caractérisés soit par des pratiques solitaires, soit par des pratiques collectives, ou chacun alterne-t-il ces deux types d’approches du patrimoine numérisé ?

● Des interactions dites “de haut niveau” aux nouvelles expériences de médiation culturelle en passant par le marketing institutionnel et politique ? Quelles voies pour le “participatif” ?

● Du crowdsourcing au crowdcurating, un pas à franchir pour les institutions au risque de la perte de légitimité ?

● Des lieux de savoirs partagés mais instables (Weltevrede et Borra, 2016)? Les sites contributifs, des lieux de controverses, de contestation entre différentes communautés de pratiques?

Bibliographie

● Moirez, P. (2017). Construire et enrichir ensemble les savoirs : crowdsourcing et patrimoine numérisé. Éditions du Cercle de la Librairie. Retrieved from https://www.cairn.info/communs-du-savoir-et-bibliotheques--9782765415305-page- 127.htm

● Centre français du patrimoine culturel immatériel. (2016). Patrimoine culturel immatériel et numérique: transmission, participation, enjeux . (M. Severo & S. Cachat, Eds.). Paris, France: l’Harmattan. ● Bourdeloie, H., & Chevret-Castellani, C. (2019). L’impossible patrimoine numérique ?: mémoire & traces. Lormont, France: Le Bord de l’eau, UDPN.

● Gauthier, M., & Sawchuk, K. (2018). Le partage de quels savoirs ? Les articles Wikipédia comme objets-frontières. tic&société, (Vol. 12, N° 1), 131–165. https://doi.org/10.4000/ticetsociete.2408

● Weltevrede, E. et Borra, E. (2016). Platform affordances and data practices: The value of dispute on Wikipedia. Big Data & Society, p.1-16. doi : 10.1177/2053951716653418

● DOI : 10.1177/2053951716653418

● Puig, Vincent (2013), « Contribuer n’est pas collaborer : un focus sur les dispositifs d’annotation de documents audiovisuels » in Dufrène, Bernadette, Ihadjadène, Madjid, Bruckmann, David (Dir.) Numérisation du patrimoine. Quelles médiations ? Quels accès ? Quelles cultures ? Paris, Hermann, p. 177-190.

● Construire des pratiques participatives dans les bibliothèques, Raphaëlle Bats (dir.), Presses de l’ENSSIB, 2015.

● Neroulidis, Ariane, Le crowdsourcing appliqué aux archives numériques : concepts, pratiques et enjeux , mémoire pour le diplôme de master en sciences de l’information et des bibliothèques (ENSSIB), 2015,http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/66008-le-crowdsourcing-a pplique-aux-archives-numeriques-concepts-pratiques-et-enjeux.pdf

● Huc, C. (2011). Préserver son patrimoine numérique: Classer, archiver et sauvegarder ses emails, photos et vidéo, contacts, documents administratifs - Guide à l’usage des particuliers et des entrepreneurs individuels. Editions Eyrolles.

● André Gunthert, L’Image partagée. La photographie numérique , Paris, Textuel, 2015 ● RIEMER, John J. et CALLERY, Bernadette G., Collaborative Access to Virtual Museum Collection Information: Seeing Through the Walls , Routledge, 2005, 163 p.

● SZONIECKY, Samuel et BOUHAÏ, Nasreddine, Collective Intelligence and Digital Archives: Towards Knowledge Ecosystems , John Wiley & Sons, 2017, 260 p.

● SCHULTZ, Lainie. “Collaborative museology and the visitor”. Museum Anthropology , 2011, vol. 34, no 1, p. 1-12.