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==A - Usages et pratiques des patrimoines numérisés : une approche comparative==
== A - Usages et pratiques des patrimoines numérisés : une approche comparative ==


===Documentarisation et redocumentarisation : du document d’archive à la collection patrimoniale documentarisée===
=== Documentarisation et redocumentarisation : du document d’archive à la collection patrimoniale documentarisée ===


  {{highlight|<small>Claire Scopsi / claire.scopsi(a)lecnam.net </small>|beige}}
  {{highlight|<small>Claire Scopsi / claire.scopsi(a)lecnam.net </small>|beige}}
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Le concept de documentarisation, développé au début des années 2000, propose une posture d’analyse du document fondée sur son architecture interne et externe et l’articulation de ses composantes sémiotiques. Il permet de penser le document numérisé nativement numérique ou construit dynamiquement en continuité avec le livre, l’article ou le périodique traditionnels. À la fin des années 2010, les grands projets de numérisation de documents patrimoniaux et plus généralement la disponibilité sur le Web d’une masse croissante de documents et de données favorisent de nouvelles pratiques. Des narrations originales, construites par la sélection, l’assemblage et l’enrichissement de ces sources, voient le jour en ligne. Nous envisageons ici l’élargissement de la notion de documentarisation afin d’englober ces formes composites dans la notion de document. Après avoir rappelé les notions de ''documentarisation'' et de ''redocumentarisation'', nous avançons que la documentarisation, dont l’approche traditionnelle considère les procédés donnant accès aux contenus, doit désormais prendre en compte et analyser les procédés d’enrichissement de ces contenus aboutissant à la production d’un supra-document composite. Puis nous montrons que cette nouvelle approche conduit à faire bouger les lignes méthodologiques et à reconsidérer, notamment, les notions d’originalité, d’intégrité et d’autorité.
Le concept de documentarisation, développé au début des années 2000, propose une posture d’analyse du document fondée sur son architecture interne et externe et l’articulation de ses composantes sémiotiques. Il permet de penser le document numérisé nativement numérique ou construit dynamiquement en continuité avec le livre, l’article ou le périodique traditionnels. À la fin des années 2010, les grands projets de numérisation de documents patrimoniaux et plus généralement la disponibilité sur le Web d’une masse croissante de documents et de données favorisent de nouvelles pratiques. Des narrations originales, construites par la sélection, l’assemblage et l’enrichissement de ces sources, voient le jour en ligne. Nous envisageons ici l’élargissement de la notion de documentarisation afin d’englober ces formes composites dans la notion de document. Après avoir rappelé les notions de ''documentarisation'' et de ''redocumentarisation'', nous avançons que la documentarisation, dont l’approche traditionnelle considère les procédés donnant accès aux contenus, doit désormais prendre en compte et analyser les procédés d’enrichissement de ces contenus aboutissant à la production d’un supra-document composite. Puis nous montrons que cette nouvelle approche conduit à faire bouger les lignes méthodologiques et à reconsidérer, notamment, les notions d’originalité, d’intégrité et d’autorité.


====<u>Qu’est-ce que la documentarisation</u> ?====
==== <u>Qu’est-ce que la documentarisation</u> ? ====


Les concepts de ''documentarisation'' et ''redocumentarisation'' ont été initialement théorisés entre 2003 et 2006 par le groupe de recherches collectif Roger T. Pédauque, pseudonyme d’un réseau de scientifiques francophones travaillant dans divers domaines des sciences humaines et sociales ainsi que des sciences et techniques de l’information et de la communication<ref>Ce groupe de recherche a été réuni à partir de 2003 par Jean-Michel Salaün dans un réseau thématique pluridisciplinaire (RTP) « Documents et contenu : création, indexation, navigation » du CNRS ; c’est l’acronyme RTP-Doc qui lui a donné son nom. Voir notamment : Roger T. Pédauque, 2006, ''Le Document à la lumière du numérique'', avec une introduction de Jean-Michel Salaün et une préface de Michel Melot, Caen, C & F Éditions. Voir aussi la présentation du projet par Frédéric Sultan et Jean-Michel Salaün, ''Roger T. Pédauque, l’aventure d’une écriture collective'', http://base.d-p-h.info/fr/fiches/dph/fiche-dph-8220.html (mars 2010 ; consulté le 28 juillet 2020).</ref>. L’objectif commun était de repenser le document dans la période de généralisation du Web et des techniques numériques.
Les concepts de ''documentarisation'' et ''redocumentarisation'' ont été initialement théorisés entre 2003 et 2006 par le groupe de recherches collectif Roger T. Pédauque, pseudonyme d’un réseau de scientifiques francophones travaillant dans divers domaines des sciences humaines et sociales ainsi que des sciences et techniques de l’information et de la communication<ref>Ce groupe de recherche a été réuni à partir de 2003 par Jean-Michel Salaün dans un réseau thématique pluridisciplinaire (RTP) « Documents et contenu : création, indexation, navigation » du CNRS ; c’est l’acronyme RTP-Doc qui lui a donné son nom. Voir notamment : Roger T. Pédauque, 2006, ''Le Document à la lumière du numérique'', avec une introduction de Jean-Michel Salaün et une préface de Michel Melot, Caen, C & F Éditions. Voir aussi la présentation du projet par Frédéric Sultan et Jean-Michel Salaün, ''Roger T. Pédauque, l’aventure d’une écriture collective'', http://base.d-p-h.info/fr/fiches/dph/fiche-dph-8220.html (mars 2010 ; consulté le 28 juillet 2020).</ref>. L’objectif commun était de repenser le document dans la période de généralisation du Web et des techniques numériques.


=====Documentarisation=====
===== Documentarisation =====
Le concept de ''documentarisation'' épouse l’évolution du document. À l’époque de Pédauque, Manuel Zacklad précise que, dans une logique collective, ''documentariser'' signifie doter un support d’attributs permettant de le gérer, de le manipuler, et de s’orienter à l’intérieur de son contenu sémiotique (Zacklad, 2004). Quels sont ces attributs ? Selon Jean-Michel Salaün, il s’agit de pratiques traditionnelles : cataloguer, indexer, découper, résumer, ‘renforcer’ (Salaün, 2007, p. 3). L’objectif annoncé s’applique à tous les types de support.
Le concept de ''documentarisation'' épouse l’évolution du document. À l’époque de Pédauque, Manuel Zacklad précise que, dans une logique collective, ''documentariser'' signifie doter un support d’attributs permettant de le gérer, de le manipuler, et de s’orienter à l’intérieur de son contenu sémiotique (Zacklad, 2004). Quels sont ces attributs ? Selon Jean-Michel Salaün, il s’agit de pratiques traditionnelles : cataloguer, indexer, découper, résumer, ‘renforcer’ (Salaün, 2007, p. 3). L’objectif annoncé s’applique à tous les types de support.


On peut distinguer deux types de procédés de documentarisation : interne ou externe. Les procédés de documentarisation internes (sommaire, pagination, ancre) visent à aider un lecteur à s’orienter à l’intérieur du document, à autoriser une lecture linéaire ou indexée des contenus, à en identifier les sous-éléments et la structure (chapitres, intertitres, etc.). Les procédés de documentarisation externes permettent, quant à eux, de relier les contenus à des éléments extérieurs (bibliographies, liens hypertextes), de les contextualiser, de donner des informations sur leur fiabilité ou leur provenance (notes), et enfin de rattacher le contenu et/ou le support à un ensemble (une série, une collection ou un assemblage sémantiquement pertinent).
On peut distinguer deux types de procédés de documentarisation : interne ou externe. Les procédés de documentarisation internes (sommaire, pagination, ancre) visent à aider un lecteur à s’orienter à l’intérieur du document, à autoriser une lecture linéaire ou indexée des contenus, à en identifier les sous-éléments et la structure (chapitres, intertitres, etc.). Les procédés de documentarisation externes permettent, quant à eux, de relier les contenus à des éléments extérieurs (bibliographies, liens hypertextes), de les contextualiser, de donner des informations sur leur fiabilité ou leur provenance (notes), et enfin de rattacher le contenu et/ou le support à un ensemble (une série, une collection ou un assemblage sémantiquement pertinent).


=====Redocumentarisation – éditorialisation=====
===== Redocumentarisation – éditorialisation =====
L’année 2000 constitue un tournant avec l’accélération de la production de documents numériques, de la numérisation de documents préexistants, et de leur diffusion sur le Web. La gamme des attributs de la documentarisation s’enrichit d’attributs propres au numérique, et s’adapte aux nouvelles pratiques numériques : segmentation et identification de segments (URL, URI) en vue d’une recomposition sous forme de ''mash-up'' par exemple, mise en forme de données issues de bases de données et assemblées automatiquement pour composer un document doté de métadonnées de contexte (titre, date, auteurs, annotations, folksonomies, tags, notes, commentaires, etc.), enrichissements divers (réalité augmentée, liens hypertextes, géolocalisations, etc.). Manuel Zacklad parle alors d’''éditorialisation'', ce qui correspond à une documentarisation dans l’univers numérique.
L’année 2000 constitue un tournant avec l’accélération de la production de documents numériques, de la numérisation de documents préexistants, et de leur diffusion sur le Web. La gamme des attributs de la documentarisation s’enrichit d’attributs propres au numérique, et s’adapte aux nouvelles pratiques numériques : segmentation et identification de segments (URL, URI) en vue d’une recomposition sous forme de ''mash-up'' par exemple, mise en forme de données issues de bases de données et assemblées automatiquement pour composer un document doté de métadonnées de contexte (titre, date, auteurs, annotations, folksonomies, tags, notes, commentaires, etc.), enrichissements divers (réalité augmentée, liens hypertextes, géolocalisations, etc.). Manuel Zacklad parle alors d’''éditorialisation'', ce qui correspond à une documentarisation dans l’univers numérique.


On appelle parfois ''redocumentarisation'', le traitement que l’on fait subir à un document déjà documentarisé sous sa forme analogique, lorsqu’il est numérisé et mis en ligne. S’il est “éclaté” pour être logé dans une base de données, la redocumentarisation vise à caractériser les différents éléments pour permettre la recomposition du document à la volée (Salaün, 2007).
On appelle parfois ''redocumentarisation'', le traitement que l’on fait subir à un document déjà documentarisé sous sa forme analogique, lorsqu’il est numérisé et mis en ligne. S’il est “éclaté” pour être logé dans une base de données, la redocumentarisation vise à caractériser les différents éléments pour permettre la recomposition du document à la volée (Salaün, 2007).


La redocumentarisation de fonds photographiques numérisés ouvre d’autres voies ; elle peut permettre d’identifier d’autres documents en ligne, en relation avec chaque cliché, par exemple d’autres photos appartenant à une même série, des séquences filmées en relation directe, des photos prises par d’autres photographes au même moment, des exemplaires de la photo transmis par radio (radiophoto ou bélino<ref>La radiophoto ou téléphotographie est l’envoi d’images par télégraphe, téléphone ou radio. Le bélinographe mis au point par Édouard Belin au début du 20<sup>e</sup> siècle, est un exemple de ces systèmes</ref>), des annotations et légendes qui figurent sur le tirage d’origine, des versions recadrées ou colorisées utilisées sur différents supports, des versions censurées ou non censurées (selon le cas), des strates de légendes attribuées successivement au cliché, des utilisations de la photo à des fins publicitaires, sur des couvertures de livres, de disques, des affiches, sans oublier bien sûr les clichés récents réalisés au même endroit (pratique de la ''re-photographie'' – voir exemple ci-dessous). On peut ajouter à ces exemples, des documents textuels, articles, entretiens avec les photographes, ou notes personnelles qui apportent des informations sur les conditions dans lesquelles le cliché a été pris. Ce qui est notable dans ces procédés de redocumentarisation, c’est qu’ils ne visent pas uniquement à ménager l’accès au document, mais qu’ils l’enrichissent d’un sens nouveau en l’associant à d’autres documents.
La redocumentarisation de fonds photographiques numérisés ouvre d’autres voies ; elle peut permettre d’identifier d’autres documents en ligne, en relation avec chaque cliché, par exemple d’autres photos appartenant à une même série, des séquences filmées en relation directe, des photos prises par d’autres photographes au même moment, des exemplaires de la photo transmis par radio (radiophoto ou bélino<ref>La radiophoto ou téléphotographie est l’envoi d’images par télégraphe, téléphone ou radio. Le bélinographe mis au point par Édouard Belin au début du 20<sup>e</sup> siècle, est un exemple de ces systèmes</ref>), des annotations et légende qui figurent sur le tirage d’origine, des versions recadrées ou colorisées utilisées sur différents supports, des versions censurées ou non censurées (selon le cas), des strates de légendes attribuées successivement au cliché, des utilisations de la photo à des fins publicitaires, sur des couvertures de livres, de disques, des affiches, sans oublier bien sûr les clichés récents réalisés au même endroit (pratique de la ''re-photographie'' – voir exemple ci-dessous). On peut ajouter à ces exemples, des documents textuels, articles, entretiens avec les photographes, ou notes personnelles qui apportent des informations sur les conditions dans lesquelles le cliché a été pris. Ce qui est notable dans ces procédés de redocumentarisation, c’est qu’ils ne visent pas uniquement à ménager l’accès au document, mais qu’ils l’enrichissent d’un sens nouveau en l’associant à d’autres documents.


[[File:Figure1.jpg|thumb| '''''Figure 1''''' - Un exemple de ''re-photographie'' dans le projet ''PhotosNormandie''. Le 27 juin 1944, le capitaine Earl J. Topley de Saint Paul (Minnesota) regarde le cadavre d’un soldat allemand assis sur des marches devant un portail, rue Armand Levéel à Cherbourg. Celui-ci a été tué après avoir abattu trois de ses GI’s. Réf. p011628. CR de Basse-Normandie/National Archives USA – Recherche et photo moderne Claude Demeester pour ''PhotosNormandie'']]
[[File:Figure1.jpg|thumb| '''''Figure 1''''' - Un exemple de ''re-photographie'' dans le projet ''PhotosNormandie''. Le 27 juin 1944, le capitaine Earl J. Topley de Saint Paul (Minnesota) regarde le cadavre d’un soldat allemand assis sur des marches devant un portail, rue Armand Levéel à Cherbourg. Celui-ci a été tué après avoir abattu trois de ses GI’s. Réf. p011628. CR de Basse-Normandie/National Archives USA – Recherche et photo moderne Claude Demeester pour ''PhotosNormandie'']]


=====Périmètre de la documentarisation/éditorialisation=====
===== Périmètre de la documentarisation/éditorialisation =====
Cet enrichissement d’un document par d’autres documents, s’apparente à ce que Gérard Genette (1987) nomme un ''épitexte''<ref>Dans une forme éditée, le ''paratexte'' tel qu’il est défini par Genette est un « ensemble hétéroclite de pratiques et de discours » qui entourent un texte. On y distingue :
Cet enrichissement d’un document par d’autres documents, s’apparente à ce que Gérard Genette (1987) nomme un ''épitexte''<ref>Dans une forme éditée, le ''paratexte'' tel qu’il est défini par Genette est un « ensemble hétéroclite de pratiques et de discours » qui entourent un texte. On y distingue :
 
* le ''péritexte'', qui est intégré à la forme éditée : titre, sous-titre, préface, postface, prière d’insérer, avertissement, épigraphe, dédicace, notes, quatrième de couverture.
*le ''péritexte'', qui est intégré à la forme éditée : titre, sous-titre, préface, postface, prière d’insérer, avertissement, épigraphe, dédicace, notes, quatrième de couverture.
* l’''épitexte'', qui tout en étant extérieur à la forme éditée, vient la compléter : critiques, entretiens avec l’auteur, correspondance, journaux intimes, etc.</ref> dans le contexte de l’édition de textes au 20<sup>e</sup> siècle. Ce qui change avec le numérique et le Web, ce sont les conditions dans lesquelles s’effectuent les opérations d’identification, de sélection et d’assemblage des éléments composant l’épitexte du ''texte'' (qu’il soit écriture, image ou son), et le choix des procédés d’enrichissements. Pour caractériser les formes de documentarisations numériques, il est nécessaire de prendre en compte les volumes traités, le type et le nombre d’acteurs impliqués, le degré d’automatisation du traitement, et enfin la finalité du traitement : produire des accès et/ou produire du sens. On distingue ainsi trois formes de documentarisation numérique :
*l’''épitexte'', qui tout en étant extérieur à la forme éditée, vient la compléter : critiques, entretiens avec l’auteur, correspondance, journaux intimes, etc.</ref> dans le contexte de l’édition de textes au 20<sup>e</sup> siècle. Ce qui change avec le numérique et le Web, ce sont les conditions dans lesquelles s’effectuent les opérations d’identification, de sélection et d’assemblage des éléments composant l’épitexte du ''texte'' (qu’il soit écriture, image ou son), et le choix des procédés d’enrichissements. Pour caractériser les formes de documentarisations numériques, il est nécessaire de prendre en compte les volumes traités, le type et le nombre d’acteurs impliqués, le degré d’automatisation du traitement, et enfin la finalité du traitement : produire des accès et/ou produire du sens. On distingue ainsi trois formes de documentarisation numérique :
# Les choix sont effectués, de façon raisonnée, par un auteur/éditeur qui crée du sens en contextualisant des documents, ou en mettant plusieurs documents en relation par des procédés éditoriaux. Cela procède d’une forme de curation, qui donne à voir un ensemble de documents peu nombreux et organisés manuellement. Cette forme d’éditorialisation, très orientée vers la production de sens, peut prendre la forme d’articles rédigés, d’expositions virtuelles ou de web-documentaire. Le site ''RetroNews''<ref>''RetroNews'' : https://www.retronews.fr</ref>, qui publie des articles thématiques fortement nourris et illustrés de documents issus de ''Gallica'', en est un bon exemple. Nous y reviendrons dans la partie 2.
 
# Les enrichissements sont effectués collaborativement, par un groupe coordonné d’internautes, selon des règles partagées, et s’appliquent à des volumes importants de documents. La plateforme ''Testaments de poilus''<ref>''Testaments de poilus'' : https://testaments-de-poilus.huma-num.fr/#!/</ref> qui organise la transcription collaborative, par des internautes, de lettres manuscrites de soldats, en est un exemple. ''PhotosNormandie''<ref>FAQ du projet ''PhotosNormandie'' : https://dejavu.hypotheses.org/2998</ref>, que nous détaillons plus loin, relève aussi de cette catégorie, qui parvient à produire du sens sur des volumes assez importants de documents, grâce au nombre des intervenants, à leur compétence, et à leur encadrement par des animateurs.
#Les choix sont effectués, de façon raisonnée, par un auteur/éditeur qui crée du sens en contextualisant des documents, ou en mettant plusieurs documents en relation par des procédés éditoriaux. Cela procède d’une forme de curation, qui donne à voir un ensemble de documents peu nombreux et organisés manuellement. Cette forme d’éditorialisation, très orientée vers la production de sens, peut prendre la forme d’articles rédigés, d’expositions virtuelles ou de web-documentaire. Le site ''RetroNews''<ref>''RetroNews'' : https://www.retronews.fr</ref>, qui publie des articles thématiques fortement nourris et illustrés de documents issus de ''Gallica'', en est un bon exemple. Nous y reviendrons dans la partie 2.
# Les enrichissements résultent de traitements algorithmiques et s’appliquent à de gros volumes de données contenus dans des bases de données, ou ‘crawlés’ par des moteurs d’indexation. Des tris, des regroupements, des affichages sont opérés automatiquement, sans qu’aucun être humain ne maîtrise l’ensemble des données, ni les résultats des traitements. Marcello Vitali-Rosetti (2016) considère que « l’éditorialisation est une instance de mise en forme et de structuration d’un contenu dans un environnement numérique ». C’est-à-dire que pour lui, les plateformes techniques (moteurs de recherche), les structures textuelles (hypertexte, métadonnées), et les pratiques humaines réparties (les commentaires, les annotations, les ‘''like''’) sont de l’éditorialisation.
#Les enrichissements sont effectués collaborativement, par un groupe coordonné d’internautes, selon des règles partagées, et s’appliquent à des volumes importants de documents. La plateforme ''Testaments de poilus''<ref>''Testaments de poilus'' : https://testaments-de-poilus.huma-num.fr/#!/</ref> qui organise la transcription collaborative, par des internautes, de lettres manuscrites de soldats, en est un exemple. ''PhotosNormandie''<ref>FAQ du projet ''PhotosNormandie'' : https://dejavu.hypotheses.org/2998</ref>, que nous détaillons plus loin, relève aussi de cette catégorie, qui parvient à produire du sens sur des volumes assez importants de documents, grâce au nombre des intervenants, à leur compétence, et à leur encadrement par des animateurs.
#Les enrichissements résultent de traitements algorithmiques et s’appliquent à de gros volumes de données contenus dans des bases de données, ou ‘crawlés’ par des moteurs d’indexation. Des tris, des regroupements, des affichages sont opérés automatiquement, sans qu’aucun être humain ne maîtrise l’ensemble des données, ni les résultats des traitements. Marcello Vitali-Rosetti (2016) considère que « l’éditorialisation est une instance de mise en forme et de structuration d’un contenu dans un environnement numérique ». C’est-à-dire que pour lui, les plateformes techniques (moteurs de recherche), les structures textuelles (hypertexte, métadonnées), et les pratiques humaines réparties (les commentaires, les annotations, les ‘''like''’) sont de l’éditorialisation.
 
On observe que le périmètre de définition du concept de documentarisation/éditorialisation évolue avec le contexte technologique et les usages émergents. Une gradation s’opère depuis le travail minutieux du passionné qui compose une anthologie en collectant et agençant sur le Web des documents d’archives, placés sur des pages et commentés pour construire une narration, jusqu’au moteur de recherche du Web qui sélectionne automatiquement et affiche côte à côte des documents issus du Web formant un lot pertinent pour l’algorithme de recherche.
On observe que le périmètre de définition du concept de documentarisation/éditorialisation évolue avec le contexte technologique et les usages émergents. Une gradation s’opère depuis le travail minutieux du passionné qui compose une anthologie en collectant et agençant sur le Web des documents d’archives, placés sur des pages et commentés pour construire une narration, jusqu’au moteur de recherche du Web qui sélectionne automatiquement et affiche côte à côte des documents issus du Web formant un lot pertinent pour l’algorithme de recherche.


====<u>De l’accès à l’enrichissement</u>====
==== <u>De l’accès à l’enrichissement</u> ====


Depuis l’époque du groupe Pédauque, le Web a beaucoup évolué et les pratiques des internautes ont considérablement changé. Désormais, l’objectif de la redocumentarisation n’est plus seulement l’optimisation de l’usage et l’amélioration de l’accès au document. Avec la multiplication des contenus produits ou publiés par les internautes, des archives ouvertes, des catalogues en ligne, etc. le travail de redocumentarisation produit de plus en plus de l’enrichissement, c’est-à-dire des informations et des liens entre documents qui produisent du sens. L’idée selon laquelle la redocumentarisation serait centrée sur les contenus des documents connus pour les gérer ou les contextualiser est donc très incomplète. Le passage des documents au numérique permet aussi de les réarranger, de les relier, et surtout de découvrir de nouveaux documents qui sont en relation.
Depuis l’époque du groupe Pédauque, le Web a beaucoup évolué et les pratiques des internautes ont considérablement changé. Désormais, l’objectif de la redocumentarisation n’est plus seulement l’optimisation de l’usage et l’amélioration de l’accès au document. Avec la multiplication des contenus produits ou publiés par les internautes, des archives ouvertes, des catalogues en ligne, etc. le travail de redocumentarisation produit de plus en plus de l’enrichissement, c’est-à-dire des informations et des liens entre documents qui produisent du sens. L’idée selon laquelle la redocumentarisation serait centrée sur les contenus des documents connus pour les gérer ou les contextualiser est donc très incomplète. Le passage des documents au numérique permet aussi de les réarranger, de les relier, et surtout de découvrir de nouveaux documents qui sont en relation.
Les exemples du projet ''PhotosNormandie'' et de l’application ''RetroNews'' permettent d’illustrer ce point de vue.
Les exemples du projet ''PhotosNormandie'' et de l’application ''RetroNews'' permettent d’illustrer ce point de vue.


=====Retrouver des séquences filmées en relation avec les photos [''PhotosNormandie'']=====
===== Retrouver des séquences filmées en relation avec les photos [''PhotosNormandie''] =====


Lancé fin janvier 2007 sur la plate-forme de partage d’images ''Flickr'', ''PhotosNormandie'' est un projet collaboratif qui a pour but initial d’améliorer les légendes de plus de 5100 photos historiques de la bataille de Normandie. Les premiers résultats obtenus ont rapidement montré qu’il n’était pas possible de concevoir une photo du projet comme une entité autonome à renseigner individuellement. Chaque photo doit plutôt être considérée comme insérée dans un véritable réseau parfois complexe d’images et de pièces diverses. À partir d’une seule photo, de nombreux documents ou parties de documents doivent être recensés, décrits, analysés méticuleusement à l’aide de méthodes variées, et participer ainsi à la redocumentarisation (voir ci-dessus).
Lancé fin janvier 2007 sur la plate-forme de partage d’images ''Flickr'', ''PhotosNormandie'' est un projet collaboratif qui a pour but initial d’améliorer les légendes de plus de 5100 photos historiques de la bataille de Normandie. Les premiers résultats obtenus ont rapidement montré qu’il n’était pas possible de concevoir une photo du projet comme une entité autonome à renseigner individuellement. Chaque photo doit plutôt être considérée comme insérée dans un véritable réseau parfois complexe d’images et de pièces diverses. À partir d’une seule photo, de nombreux documents ou parties de documents doivent être recensés, décrits, analysés méticuleusement à l’aide de méthodes variées, et participer ainsi à la redocumentarisation (voir ci-dessus).
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La recherche systématique de séquences filmées en relation avec les photos a progressivement pris une importante inattendue. Pour ce qui concerne l’armée américaine lors de la Seconde Guerre mondiale, les équipes chargées de “documenter la guerre en train de se faire” étaient formées d’un photographe et d’un cameraman qui opéraient presque toujours simultanément, filmant et photographiant ensemble les mêmes événements. Les images fixes et animées ainsi produites peuvent par conséquent être rapprochées et parfois s’éclairer mutuellement. Pourtant, ces relations sont demeurées longtemps négligées, probablement parce que les traitements d’archivage réalisés immédiatement après la guerre distinguaient radicalement deux médias largement tributaires de leurs propres méthodes de visualisation (papier et projection). La recherche systématique des liens entre images fixes et images animées n’avait jusqu’à présent jamais été entreprise avant l’initiative du projet ''PhotosNormandie''. Elle a abouti en 2013 à l’ajout d’un corpus de 300 films historiques en libre accès sur ''YouTube'', et tout travail documentaire sur une photo quelconque associe désormais une recherche (fructueuse ou non) dans la base des films. Environ une photo sur dix de la collection a ainsi pu être mise en correspondance avec une séquence filmée.
La recherche systématique de séquences filmées en relation avec les photos a progressivement pris une importante inattendue. Pour ce qui concerne l’armée américaine lors de la Seconde Guerre mondiale, les équipes chargées de “documenter la guerre en train de se faire” étaient formées d’un photographe et d’un cameraman qui opéraient presque toujours simultanément, filmant et photographiant ensemble les mêmes événements. Les images fixes et animées ainsi produites peuvent par conséquent être rapprochées et parfois s’éclairer mutuellement. Pourtant, ces relations sont demeurées longtemps négligées, probablement parce que les traitements d’archivage réalisés immédiatement après la guerre distinguaient radicalement deux médias largement tributaires de leurs propres méthodes de visualisation (papier et projection). La recherche systématique des liens entre images fixes et images animées n’avait jusqu’à présent jamais été entreprise avant l’initiative du projet ''PhotosNormandie''. Elle a abouti en 2013 à l’ajout d’un corpus de 300 films historiques en libre accès sur ''YouTube'', et tout travail documentaire sur une photo quelconque associe désormais une recherche (fructueuse ou non) dans la base des films. Environ une photo sur dix de la collection a ainsi pu être mise en correspondance avec une séquence filmée.


=====Identifier les premières publications des clichés dans la presse [''PhotosNormandie'']=====
===== Identifier les premières publications des clichés dans la presse [''PhotosNormandie''] =====


Un autre exemple est fourni par la recherche – systématique également – des premières publications des clichés dans la presse américaine et canadienne de l’époque. L’analyse est effectuée en priorité sur les sites (parfois payants) des journaux numérisés, mais aussi dans les magazines, les livres, les rapports. Les moteurs publics de recherche d’image par contenu sont inopérants puisqu’ils n’indexent pas les photos de ces collections numérisées. La seule méthode consiste à utiliser le travail d’observation réalisé par des humains (la « force brute ») en compulsant les collections numérisées page après page. En distribuant les titres à examiner entre les volontaires participants à la recherche, l’analyse a mis à jour des centaines d’articles de presse publiés peu après le Débarquement où figurent des photos de corpus initial. Une recherche similaire effectuée par le collectif ''PhotosNormandie'' sur les photos prises par Robert Capa à Omaha Beach le 6 juin 1944 a démontré aussi que ces clichés fameux sont parus dans de nombreux journaux nord-américains avant qu’ils soient publiés dans le magazine ''Life'' le 19 juin (date habituellement retenue par l’histoire du photojournalisme pour la publication de ces clichés). Cette dernière enquête est représentative de l’extension du champ de la redocumentarisation puisque les photos de Capa ne font pas partie du corpus initial.  
Un autre exemple est fourni par la recherche – systématique également – des premières publications des clichés dans la presse américaine et canadienne de l’époque. L’analyse est effectuée en priorité sur les sites (parfois payants) des journaux numérisés, mais aussi dans les magazines, les livres, les rapports. Les moteurs publics de recherche d’image par contenu sont inopérants puisqu’ils n’indexent pas les photos de ces collections numérisées. La seule méthode consiste à utiliser le travail d’observation réalisé par des humains (la « force brute ») en compulsant les collections numérisées page après page. En distribuant les titres à examiner entre les volontaires participants à la recherche, l’analyse a mis à jour des centaines d’articles de presse publiés peu après le Débarquement où figurent des photos de corpus initial. Une recherche similaire effectuée par le collectif ''PhotosNormandie'' sur les photos prises par Robert Capa à Omaha Beach le 6 juin 1944 a démontré aussi que ces clichés fameux sont parus dans de nombreux journaux nord-américains avant qu’ils soient publiés dans le magazine ''Life'' le 19 juin (date habituellement retenue par l’histoire du photojournalisme pour la publication de ces clichés). Cette dernière enquête est représentative de l’extension du champ de la redocumentarisation puisque les photos de Capa ne font pas partie du corpus initial.  
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La redocumentarisation ne se limite donc pas à l’ajout de métadonnées nouvelles en vue de faciliter l’accès ou la recontextualisation des documents. C’est également un processus complexe qui permet de découvrir de nouveaux documents, d’insérer un document numérisé connu dans un réseau de documents qui ne sont pas toujours connus initialement. Autrement dit, il n’est pas possible de concevoir la redocumentarisation comme agissant sur une collection fermée. Le corpus de documents initial, n’est qu’un point de départ, il est foncièrement malléable et extensible, il peut s’étendre au fur et à mesure du progrès de la redocumentarisation et doit même pouvoir changer de nature. Le processus de redocumentarisation met à jour de nouvelles problématiques de recherche et produit une base de données évolutive qui doit pouvoir être continuellement augmentée de nouvelles informations et de nouveaux documents à analyser.
La redocumentarisation ne se limite donc pas à l’ajout de métadonnées nouvelles en vue de faciliter l’accès ou la recontextualisation des documents. C’est également un processus complexe qui permet de découvrir de nouveaux documents, d’insérer un document numérisé connu dans un réseau de documents qui ne sont pas toujours connus initialement. Autrement dit, il n’est pas possible de concevoir la redocumentarisation comme agissant sur une collection fermée. Le corpus de documents initial, n’est qu’un point de départ, il est foncièrement malléable et extensible, il peut s’étendre au fur et à mesure du progrès de la redocumentarisation et doit même pouvoir changer de nature. Le processus de redocumentarisation met à jour de nouvelles problématiques de recherche et produit une base de données évolutive qui doit pouvoir être continuellement augmentée de nouvelles informations et de nouveaux documents à analyser.


=====Produire des narrations anthologiques [''RetroNews'']=====
===== Produire des narrations anthologiques [''RetroNews''] =====


Sur des corpus plus réduits, la redocumentarisation évolue vers des formes plus narratives, effectuées par un ou plusieurs individus, en groupe ou dispersés, qui transforment les éléments collectés en publications ouvertes et dynamiques, porteuses de savoirs nouveaux. Milad Doueihi perçoit dans ce « modèle d’assemblage de la fonction d’auteur » (2008, p. 70) une nouvelle forme de culture qu’il nomme ''anthologique''<ref>Au sens étymologique l’anthologie est la cueillette et l’assemblage de fleurs pour former un bouquet. Milad Doueihi parle aussi de « collections choisies » (2011, p.105).</ref> et qui procède à la fois de l’accès au savoir et de la production de savoirs. La pratique anthologique se déploie en raison de la numérisation croissante de fonds patrimoniaux, et parce que leur publication sur le Web rend accessible à tous un grand nombre de ''fac-similés'' numériques de documents issus de fonds patrimoniaux. Elle répond aussi à un besoin croissant d’organiser la masse d’information numérique, en sélectionnant quelques unités et en les assemblant pour produire une démonstration ou un récit. ''RetroNews'', le site de presse de la Bibliothèque nationale de France (BnF), illustre cette tendance. Les sources proposées sont issues de ''Gallica'', la bibliothèque numérique de la BnF, où chacun peut les consulter ; mais ''RetroNews'' propose des articles, illustrés et nourris de ces sources, rédigés par des chercheurs sur un mode volontairement vulgarisateur. On peut ainsi y consulter, à la façon de la presse quotidienne, une interview de Napoléon 1<sup>er</sup> depuis son exil de l’Île d’Elbe, un reportage sur l’assassinat de Raspoutine, ou un podcast de Louise Michel.
Sur des corpus plus réduits, la redocumentarisation évolue vers des formes plus narratives, effectuées par un ou plusieurs individus, en groupe ou dispersés, qui transforment les éléments collectés en publications ouvertes et dynamiques, porteuses de savoirs nouveaux. Milad Doueihi perçoit dans ce « modèle d’assemblage de la fonction d’auteur » (2008, p. 70) une nouvelle forme de culture qu’il nomme ''anthologique''<ref>Au sens étymologique l’anthologie est la cueillette et l’assemblage de fleurs pour former un bouquet. Milad Doueihi parle aussi de « collections choisies » (2011, p.105).</ref> et qui procède à la fois de l’accès au savoir et de la production de savoirs. La pratique anthologique se déploie en raison de la numérisation croissante de fonds patrimoniaux, et parce que leur publication sur le Web rend accessible à tous un grand nombre de ''fac-similés'' numériques de documents issus de fonds patrimoniaux. Elle répond aussi à un besoin croissant d’organiser la masse d’information numérique, en sélectionnant quelques unités et en les assemblant pour produire une démonstration ou un récit. ''RetroNews'', le site de presse de la Bibliothèque nationale de France (BnF), illustre cette tendance. Les sources proposées sont issues de ''Gallica'', la bibliothèque numérique de la BnF, où chacun peut les consulter ; mais ''RetroNews'' propose des articles, illustrés et nourris de ces sources, rédigés par des chercheurs sur un mode volontairement vulgarisateur. On peut ainsi y consulter, à la façon de la presse quotidienne, une interview de Napoléon 1<sup>er</sup> depuis son exil de l’Île d’Elbe, un reportage sur l’assassinat de Raspoutine, ou un podcast de Louise Michel.
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La publication croissante des documents d’archives numérisés sur le Web ne conduit pas seulement à de nouveaux usages publics. Elle nous oblige peu à peu à peu à reconsidérer la notion de document et son périmètre, et à nous questionner sur la pertinence des traitements documentaires traditionnels.
La publication croissante des documents d’archives numérisés sur le Web ne conduit pas seulement à de nouveaux usages publics. Elle nous oblige peu à peu à peu à reconsidérer la notion de document et son périmètre, et à nous questionner sur la pertinence des traitements documentaires traditionnels.


====<u>En quoi le document composite modifie-t-il notre perception des documents et leur documentarisation ?</u>====
==== <u>En quoi le document composite modifie-t-il notre perception des documents et leur documentarisation ?</u> ====


Un document est caractérisé par une sémantique propre (son thème, son objectif, ce qu’il veut montrer, démontrer, etc.). On peut le concevoir métaphoriquement comme un “espace de pensée” apte à générer des informations ou d’autres documents. La redocumentarisation produit alors des documents nouveaux composés d’un assemblage de documents unitaires, de liens vers des documents unitaires déjà présents sur le Web, ou de documents originaux et reliés entre eux selon des logiques propres.
Un document est caractérisé par une sémantique propre (son thème, son objectif, ce qu’il veut montrer, démontrer, etc.). On peut le concevoir métaphoriquement comme un “espace de pensée” apte à générer des informations ou d’autres documents. La redocumentarisation produit alors des documents nouveaux composés d’un assemblage de documents unitaires, de liens vers des documents unitaires déjà présents sur le Web, ou de documents originaux et reliés entre eux selon des logiques propres.
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Nous proposons ici de considérer que l’essence de ces documents composites réside dans la logique d’assemblage qui préside à leur constitution, c’est-à-dire les procédés de sélection, d’ordonnancement et de mise à jour, définis par leurs auteurs. Dans une logique de traitement documentaire, cette nature composite pose quelques questions méthodologiques :
Nous proposons ici de considérer que l’essence de ces documents composites réside dans la logique d’assemblage qui préside à leur constitution, c’est-à-dire les procédés de sélection, d’ordonnancement et de mise à jour, définis par leurs auteurs. Dans une logique de traitement documentaire, cette nature composite pose quelques questions méthodologiques :


*Où réside l’''originalité'' de ces documents composites, puisque leurs éléments unitaires sont eux-mêmes déjà identifiés, conservés, et publiés par ailleurs sur le Web ? Et par conséquent, sur quels éléments doivent porter les efforts de description et de conservation des ensembles redocumentarisés ?
* Où réside l’''originalité'' de ces documents composites, puisque leurs éléments unitaires sont eux-mêmes déjà identifiés, conservés, et publiés par ailleurs sur le Web ? Et par conséquent, sur quels éléments doivent porter les efforts de description et de conservation des ensembles redocumentarisés ?
*Comment l’''intégrité'' des documents composites peut-elle être garantie ? Autrement dit, quelle est la version de référence de ces documents, alors que l’introduction de procédés d’intelligence artificielle pour agréger des documents unitaires en fonction de leur sens, ainsi que les enrichissements apportés par les internautes, modifient continuellement le périmètre des ensembles redocumentarisés ?
* Comment l’''intégrité'' des documents composites peut-elle être garantie ? Autrement dit, quelle est la version de référence de ces documents, alors que l’introduction de procédés d’intelligence artificielle pour agréger des documents unitaires en fonction de leur sens, ainsi que les enrichissements apportés par les internautes, modifient continuellement le périmètre des ensembles redocumentarisés ?
*À quel niveau se construit l’''autorité'' de ces ensembles ? Les archives numérisées, circulent et s’intègrent au sein de plusieurs ensembles documentarisés. L’autorité du producteur initial de ces archives, suffit-elle pour construire la confiance dans les ensembles éditorialisés ?
* À quel niveau se construit l’''autorité'' de ces ensembles ? Les archives numérisées, circulent et s’intègrent au sein de plusieurs ensembles documentarisés. L’autorité du producteur initial de ces archives, suffit-elle pour construire la confiance dans les ensembles éditorialisés ?


Ces trois types d’évolution marquent clairement une rupture avec la conception de la redocumentarisation héritée du groupe Pédauque. L’accent presque exclusif porté sur l’optimisation de l’usage du document et l’amélioration de son accès à travers l’enrichissement de métadonnées n’est plus suffisant. Cette conception ''utilitaire'' de la redocumentarisation est désormais dépassée, elle doit faire place à une conception proprement ''heuristique'' au sens où les documents ne sont pas toujours donnés ''a priori'' mais doivent être découverts ou redécouverts selon de nouveaux points de vue, puis sélectionnés et organisés en fonction de perspectives émergentes.
Ces trois types d’évolution marquent clairement une rupture avec la conception de la redocumentarisation héritée du groupe Pédauque. L’accent presque exclusif porté sur l’optimisation de l’usage du document et l’amélioration de son accès à travers l’enrichissement de métadonnées n’est plus suffisant. Cette conception ''utilitaire'' de la redocumentarisation est désormais dépassée, elle doit faire place à une conception proprement ''heuristique'' au sens où les documents ne sont pas toujours donnés ''a priori'' mais doivent être découverts ou redécouverts selon de nouveaux points de vue, puis sélectionnés et organisés en fonction de perspectives émergentes.


=====Structurer l’espace numérisé est la valeur centrale des projets de redocumentarisation=====
===== Structurer l’espace numérisé est la valeur centrale des projets de redocumentarisation =====


En repensant le processus de redocumentarisation à partir du sens et du contenu des documents plutôt que de leur accessibilité, il peut être intéressant de concevoir la totalité des documents numérisés imaginables – qu’ils soient sur le Web ou ailleurs – comme un vaste ensemble flasque possédant des structures faibles, floues et peu apparentes. On peut le voir comme un ''espace numérisé'' sur lequel on cherche à découvrir de nouvelles informations, de nouveaux liens, de nouveaux documents, etc. à l’aide de méthodologies ''ad hoc'', c’est-à-dire en utilisant des pratiques de recherche développées expressément à partir d’une catégorie précise de documents et pour répondre à des questions précises. L’objectif de la redocumentarisation est d’expliciter quelques-unes de ces structures faibles, de construire à partir de celles-ci de nouvelles micro-structures plus solides qui introduisent quelques îlots d’organisation dans cet espace largement désordonné. La redocumentarisation apparaît fondamentalement comme la création d’informations structurées sur un immense espace numérisé.
En repensant le processus de redocumentarisation à partir du sens et du contenu des documents plutôt que de leur accessibilité, il peut être intéressant de concevoir la totalité des documents numérisés imaginables – qu’ils soient sur le Web ou ailleurs – comme un vaste ensemble flasque possédant des structures faibles, floues et peu apparentes. On peut le voir comme un ''espace numérisé'' sur lequel on cherche à découvrir de nouvelles informations, de nouveaux liens, de nouveaux documents, etc. à l’aide de méthodologies ''ad hoc'', c’est-à-dire en utilisant des pratiques de recherche développées expressément à partir d’une catégorie précise de documents et pour répondre à des questions précises. L’objectif de la redocumentarisation est d’expliciter quelques-unes de ces structures faibles, de construire à partir de celles-ci de nouvelles micro-structures plus solides qui introduisent quelques îlots d’organisation dans cet espace largement désordonné. La redocumentarisation apparaît fondamentalement comme la création d’informations structurées sur un immense espace numérisé.
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[[File:Figure3.jpg|thumb| '''''Figure 3''''' – Un exemple d’agrégat numérique dans le projet ''PhotosNormandie''. Montage montrant quatre documents associés :
[[File:Figure3.jpg|thumb| '''''Figure 3''''' – Un exemple d’agrégat numérique dans le projet ''PhotosNormandie''. Montage montrant quatre documents associés :
<br />* (haut, gauche) Réf. p012708, CR de Basse-Normandie/National Archives USA. Juin 1944, les équipes médicales américaines prennent en charge de nombreux civils victimes des combats engagés depuis le Débarquement. Photo prise à l’hôpital installé le 6 juin près de la ferme de La Houssaye à Sainte-Marie-du-Mont (Manche).
<br/>* (haut, gauche) Réf. p012708, CR de Basse-Normandie/National Archives USA. Juin 1944, les équipes médicales américaines prennent en charge de nombreux civils victimes des combats engagés depuis le Débarquement. Photo prise à l’hôpital installé le 6 juin près de la ferme de La Houssaye à Sainte-Marie-du-Mont (Manche).
<br />* (haut, droite) Radiophoto (photo transmise par radio avec sa légende), The Allison Collection, réf. 77.09.1722
<br/>* (haut, droite) Radiophoto (photo transmise par radio avec sa légende), The Allison Collection, réf. 77.09.1722
<br />* (bas, gauche) Cliché publié en Une du quotidien ‘The Windsor Daily Star’, 21 juin 1944
<br/>* (bas, gauche) Cliché publié en Une du quotidien ‘The Windsor Daily Star’, 21 juin 1944
<br />* (bas, droite) Photogramme extrait du film NARA 111-ADC-1911 en 5:13
<br/>* (bas, droite) Photogramme extrait du film NARA 111-ADC-1911 en 5:13
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=====Des espaces de pensées en constante évolution=====
===== Des espaces de pensées en constante évolution =====


Qu’ils soient enrichis par les internautes ou automatiquement par des algorithmes et des paramètres de recherche, les ensembles redocumentarisés sont des univers en constante expansion. Le processus de publication étant continuel, il n’est pas possible, comme dans l’édition traditionnelle, d’identifier des versions bien arrêtées et déterminées par les producteurs. Les institutions en charge du dépôt légal du Web<ref>Pour mémoire : la Bibliothèque nationale de France (BnF) pour le web français, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) pour les sites web en relation avec les acteurs de l’audiovisuel, et le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) pour le web en relation avec le cinéma.</ref> sont déjà confrontées à cette particularité du numérique, et elles ont choisi de construire artificiellement ces versions en « aspirant » périodiquement les sites. Une version correspond alors à l’état du site à la date d’aspiration. Dans l’état actuel de la technique, nous ne pouvons identifier autrement les états de publication de ces sites.
Qu’ils soient enrichis par les internautes ou automatiquement par des algorithmes et des paramètres de recherche, les ensembles redocumentarisés sont des univers en constante expansion. Le processus de publication étant continuel, il n’est pas possible, comme dans l’édition traditionnelle, d’identifier des versions bien arrêtées et déterminées par les producteurs. Les institutions en charge du dépôt légal du Web<ref>Pour mémoire : la Bibliothèque nationale de France (BnF) pour le web français, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) pour les sites web en relation avec les acteurs de l’audiovisuel, et le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) pour le web en relation avec le cinéma.</ref> sont déjà confrontées à cette particularité du numérique, et elles ont choisi de construire artificiellement ces versions en « aspirant » périodiquement les sites. Une version correspond alors à l’état du site à la date d’aspiration. Dans l’état actuel de la technique, nous ne pouvons identifier autrement les états de publication de ces sites.
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Une autre approche est possible : définir un ensemble du Web non selon son contenu exact à un moment donné, mais selon ses règles d’évolutions. Un exemple fameux est fourni par l’encyclopédie collaborative Wikipédia. Nous ne disposons pas de toutes les versions d’un article de Wikipédia, mais nous connaissons les règles de mise à jour, les modifications apportées, et les discussions qu’elles occasionnent. Cela permet, sinon de reconstituer ''a posteriori'' un état spécifique de l’article, tout au moins, de cerner le contexte et les enjeux de ses états successifs.
Une autre approche est possible : définir un ensemble du Web non selon son contenu exact à un moment donné, mais selon ses règles d’évolutions. Un exemple fameux est fourni par l’encyclopédie collaborative Wikipédia. Nous ne disposons pas de toutes les versions d’un article de Wikipédia, mais nous connaissons les règles de mise à jour, les modifications apportées, et les discussions qu’elles occasionnent. Cela permet, sinon de reconstituer ''a posteriori'' un état spécifique de l’article, tout au moins, de cerner le contexte et les enjeux de ses états successifs.


=====L’autorité déléguée des archives numériques=====
===== L’autorité déléguée des archives numériques =====


L’autorité des ensembles redocumentarisés pose des questions spécifiques. Comme indiqué plus haut, ces ensembles forment des narrations originales, reposant sur des assemblages ordonnés et raisonnés de documents glanés dans les collections accessibles sur le Web. Sur quoi pouvons-nous fonder la confiance en ces récits et déterminer leur fiabilité ? Deux notions doivent ici être distinguées : l’authenticité des documents produits, et la véracité du discours construit.
L’autorité des ensembles redocumentarisés pose des questions spécifiques. Comme indiqué plus haut, ces ensembles forment des narrations originales, reposant sur des assemblages ordonnés et raisonnés de documents glanés dans les collections accessibles sur le Web. Sur quoi pouvons-nous fonder la confiance en ces récits et déterminer leur fiabilité ? Deux notions doivent ici être distinguées : l’authenticité des documents produits, et la véracité du discours construit.
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Les questions que soulèvent les ensembles redocumentarisés montrent que les pratiques numériques n’ont pas fini de mobiliser les théoriciens du document. Les concepts identifiés par Pédauque s’adaptent aux évolutions du document et en acceptent des définitions de plus en plus larges, tout en maintenant une grille d’analyse autonome et stable reposant sur des fondamentaux immuables : la preuve, la transmission, l’accès à la connaissance. C’est dans le domaine des pratiques professionnelles des gestionnaires de l’information et du patrimoine que les plus grandes difficultés se présentent. Passer de la description d’un document unitaire à un ensemble constitué est déjà une étape importante, mais les modèles descriptifs de l’ISAD-G/EAD<ref>''International Standard Archival Description-General'' (ISAD-G : Norme générale et internationale de description archivistique, qui permet de décrire et de contextualiser des collections de documents hiérarchisés.</ref> ou de CIDOC-CRM<ref>Le ''Conceptual Reference Model'' (CRM) du ''Comité International pour la DOCumentation'' (CIDOC) est un modèle sémantique de l'information relative au patrimoine culturel. Il permet de décrire des collections culturelles de musées ou de centres d’archives à l’aide de terminologies adaptées.</ref> l’ont déjà franchie. Cependant ces deux modèles s’appliquent à des collections pré-constituées par les services producteurs ou les donateurs. S’attaquer à la description d’ensembles documentaires constitués par l’usager, dans une logique de valorisation des archives numérisées, est un changement majeur et des modèles appropriés devront être pensés, des règles communes d’identification éditées. Les techniques de bases de données devront aussi évoluer, probablement à partir de modèles NoSQL plus adaptés au stockage de grandes quantités de documents. Or l’élaboration et la propagation des standards documentaires est une opération très longue qui se compte en dizaines d’années. D’ici là, les sites anthologiques et les corpus redocumentarisés devront, comme ''PhotosNormandie'', développer leurs propres règles descriptives de leurs logiques structurelles. Les autres disparaîtront avec leurs plateformes, sans avoir pu migrer.
Les questions que soulèvent les ensembles redocumentarisés montrent que les pratiques numériques n’ont pas fini de mobiliser les théoriciens du document. Les concepts identifiés par Pédauque s’adaptent aux évolutions du document et en acceptent des définitions de plus en plus larges, tout en maintenant une grille d’analyse autonome et stable reposant sur des fondamentaux immuables : la preuve, la transmission, l’accès à la connaissance. C’est dans le domaine des pratiques professionnelles des gestionnaires de l’information et du patrimoine que les plus grandes difficultés se présentent. Passer de la description d’un document unitaire à un ensemble constitué est déjà une étape importante, mais les modèles descriptifs de l’ISAD-G/EAD<ref>''International Standard Archival Description-General'' (ISAD-G : Norme générale et internationale de description archivistique, qui permet de décrire et de contextualiser des collections de documents hiérarchisés.</ref> ou de CIDOC-CRM<ref>Le ''Conceptual Reference Model'' (CRM) du ''Comité International pour la DOCumentation'' (CIDOC) est un modèle sémantique de l'information relative au patrimoine culturel. Il permet de décrire des collections culturelles de musées ou de centres d’archives à l’aide de terminologies adaptées.</ref> l’ont déjà franchie. Cependant ces deux modèles s’appliquent à des collections pré-constituées par les services producteurs ou les donateurs. S’attaquer à la description d’ensembles documentaires constitués par l’usager, dans une logique de valorisation des archives numérisées, est un changement majeur et des modèles appropriés devront être pensés, des règles communes d’identification éditées. Les techniques de bases de données devront aussi évoluer, probablement à partir de modèles NoSQL plus adaptés au stockage de grandes quantités de documents. Or l’élaboration et la propagation des standards documentaires est une opération très longue qui se compte en dizaines d’années. D’ici là, les sites anthologiques et les corpus redocumentarisés devront, comme ''PhotosNormandie'', développer leurs propres règles descriptives de leurs logiques structurelles. Les autres disparaîtront avec leurs plateformes, sans avoir pu migrer.


====<u>Bibliographie</u>====
==== <u>Bibliographie</u> ====


● Bachimont, Bruno, 2010, ''La présence de l’archive : Réinventer et justifier''. ''Association pour la Recherche sur la Cognition'', 53‑54, pp.281-309. https://doi.org/<hal-00769664>
● Bachimont, Bruno, 2010, ''La présence de l’archive : Réinventer et justifier''. ''Association pour la Recherche sur la Cognition'', 53‑54, pp.281-309. https://doi.org/<hal-00769664>
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● Zacklad, Manuel, 2004 (octobre 13), ''Processus de documentarisation dans les Documents pour l’Action (DopA) : Statut des annotations et technologies de la coopération associées''. Numérique : impact sur le cycle de vie du document (Le), Montréal http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notices/1223-le-numerique-impact-sur-le-cycle-de-vie-du-document
● Zacklad, Manuel, 2004 (octobre 13), ''Processus de documentarisation dans les Documents pour l’Action (DopA) : Statut des annotations et technologies de la coopération associées''. Numérique : impact sur le cycle de vie du document (Le), Montréal http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notices/1223-le-numerique-impact-sur-le-cycle-de-vie-du-document
<references />
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