III-A-4

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A - Usages et pratiques des patrimoines numérisés : une approche comparative

4. Appropriations, détournements artistiques

Martine Beugnet / beugnetmartine(a)gmail.com

Des usages imprévus peuvent se développer au contact de pratiques plus larges du détournement : la compilation vidéo, les mashups, les remontages et le “sampling” en musique et en images en sont des exemples caractéristiques. On peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles le son et l’image, et en particulier la musique et l’image de cinéma se prêtent particulièrement bien à l’appropriation en vue de détournements. Dans le cas de l’image de film, l’existence d’une longue tradition de la compilation ou du remontage qui s’est développée à l’époque du film argentique explique sans doute pour partie la rapide popularisation des pratiques numériques (dans Film Begets Film. A Study of the Compilation Film , qui date de 1964, Jay Léda remarque que la compilation est presque aussi ancienne que le cinéma lui même). Les pratiques basées sur l’appropriation d’images filmées se sont cependant multipliées avec l’avènement du numérique, facilitées par l’accès à une archive cinématographique dématérialisée étendue et à un large éventail d’outils de manipulation. A la croisée entre culture élitiste et populaire (alors que le cinéma est une pratique traditionnellement populaire, les oeuvres de détournement, où le matériau hollywoodien classique domine, contribuent à l’entrée au musée du médium film), elles occupent à la fois les amateurs et les artistes.

De nouvelles formes de manipulation typiquement numériques ont par ailleurs émergé, notamment dans les formats très courts : ainsi le GIF animé est-il né du phénomène de la boucle d’images, caractéristique de l’écriture algorithmique. Les détournements se déclinent désormais en un éventail de formes très variées, du pastiche au montage, et des permutations au collectionnisme. L’émergence de l’essai vidéo comme genre autonome a forcé les revues de film et média à s’adapter à de nouveaux principes de publication en ligne (voir, entre autres plateforme de diffusion, le journal (In) Transition ou le journal NECSUS ). Elle a également permis le développement de pratiques pédagogiques basées sur l’analyse de l’image par l’image. D’autres contenus patrimoniaux donnent lieu à des réutilisations par des artistes. On peut citer la pratique du sampling musical mais aussi la récupération d’images des collections du Smithsonian par Camille Henrot, les “oeuvres réalisées à partir de matériel d’archives par des artistes québécois tels que Dominique Blain, le groupe ATSA (Pierre Allard et Annie Roy) et Patrick Altman”36, ou Robert Rauschenberg37, les réappropriations d’archives ethnographiques par les Aborigènes38, etc. Il est important de noter qu’il s’agit là d’usages qui ne sont généralement pas prévus par les producteurs de données numérisées, et que, si les pratiques ne sont pas nouvelles (collage, plagiat, etc.), elles sont rendues beaucoup plus accessibles dans un contexte numérique.

Pistes de réflexion

● Art contemporain et patrimoines numérisés (remake, remédiation documentaire, reenactment, etc.) : renouvellement de l’expérience patrimoniale? Le remake comme procédé documentaire?

● Détournement, réutilisation, réappropriation, plagiat, parodie : quelles sont les limites juridiques et la légitimité de ces pratiques ?


Bibliographie

● Fourmentraux, J.-P. (Ed.). (2016). Images interactives: art contemporain, recherche et création numérique . Bruxelles, Belgique: la Lettre volée. ● Bourriaud, N. (2005). Postproduction: culture as screenplay : how art reprograms the world . (C. Schneider, Ed., J. Herman, Trans.). New York, Etats-Unis d’Amérique: Lukas & Sternberg.

● Pierson, M. (2013). Vers une pratique communautaire du remake. Marges. Revue d’art contemporain , (17), 74–95. https://doi.org/10.4000/marges.158

● Poissant, Louise, ed. 2003. Esthétique des arts médiatiques., Interfaces et sensorialité . Saint-Etienne, Canada: Publications de l’Université.

● Manovich, Lev. 2013. Software takes command . New York (NY), Etats-Unis d’Amérique, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.


36 . LEMAY, Yvon et BOUCHER, Marie-Pierre. “L’émotion ou la face cachée de l’archive”. Archives , 2010, vol. 42, no 2, p. 39-52. 37 . LACOMBE, Anne-Marie. Les archives dans l'art de Robert Rauschenberg . Mémoire. Université de Montréal. 2013. < https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/9939/Lacombe_Anne-Marie_2013_ memoire.pdf > 38 . De Largy Healy, J. 2011. « Pour une anthropologie de la restitution. Archives culturelles et transmissions des savoirs en Australie ». Cahiers d’ethnomusicologie. Anciennement Cahiers de musiques traditionnelles (24) : 45‑65. http://ethnomusicologie.revues.org/1747